26e colloque de la FF2P, à Montpellier

Naître : ordres et désordres liés à la naissance

Vendredi 18 Mars 2011, 16h à 17h45

«  La vie … avant la vie »

(développement du cerveau in utero)

par Serge Ginger,

Gestalt-thérapeute, praticien EMDR, enseignant en neurosciences à la SFU

Introduction : les trois tiers de notre personnalité

Il est habituel d’opposer les caractères innés (patrimoine génétique héréditaire) et les caractères acquis (par l’éducation, l’influence de l’environnement… et de la thérapie) : « Nature and Nurture », comme disent les anglophones.

C’est oublier une 3° dimension, celle que je vais développer aujourd’hui, et qui a été largement souligné par les recherches contemporaines en neurosciences : les acquisitions avant la naissance, c’est à dire pendant les neuf mois de la vie intra-utérine, caractères « congénitaux », innés lais non héréditaires – dont l’importance apparaît finalement aussi grande que celle des deux autres facteurs traditionnels.

Ainsi, notre personnalité serait constituée – en chiffres arrondis – de trois tiers :

  • un tiers de facteurs héréditaires, transmis via l’ADN et les 30 000 gènes du chromosome du noyau de chacune des 70 000 milliards de cellules qui constituent notre corps ;

  • un tiers de facteurs congénitaux, acquis pendant la construction de notre cerveau, in utero, largement dépendants de l’état psychosomatique de la mère pendant la grossesse ;

  • un tiers de facteurs acquis après la naissance, pendant la période critique d’attachement du bébé à la mère, mais aussi pendant les premières années d’éducation et par la suite, tout au long des expériences de notre existence.

Nous serions donc préconditionnés aux deux tiers à notre naissance, avec des prédispositons, inscrites dans notre cerveau biologique. En somme, nous ne sommes ni prisonniers de nos gènes, ni entièrement libres.

Soyez cependant rassurés : un tiers de « liberté » s’avère largement suffisant pour « faire la différence » : si j’ajoute un tiers à ma taille, je deviens un géant (1,80 m + 1/3 = 2,40 m) et si j’ajoute un tiers à mes performances, je deviens champion du monde… que ce soit en sport ou en intelligence !

De plus, on sait aujourd’hui que le patrimoine génétique lui-même, peut se montrer actif ou « endormi », l’éducation (ou la psychothérapie) favorisant ou inhibant l’expression des gènes (Eric Kandel, prix Nobel 2000). Notre ADN comporte 3 milliards d’informations (soit le contenu de 3 000 livres de 300 pages).

En tant que psychothérapeute, depuis 40 ans, je peux constater quotidiennement l’impact de mes interventions sur mes clients, malgré le poids incontestable de leurs prédispositions neurophysiologiques. Ce n’est pas une raison pour ignorer ces dernières ! Afin de tirer le meilleur parti de ma voiture, il faut que j’apprenne à la conduire, mais aussi que je prenne la peine de soulever le capot pour mieux connaître « l’anatomie et la physiologie » de son moteur, sa structure et son fonctionnement !

Nous allons donc nous pencher ensemble aujourd’hui sur le développement du cerveau in utero, pendant cette période essentielle qu’est la grossesse, et nous allons voir que la tradition juive n’a pas tord lorsqu’elle dit qu’on est l’enfant de sa mère plus que de son père.

Je vais illustrer mon propos par quelques brefs extraits de films remarquables1, tournés in utero, qui montrent, de manière spectaculaire, la richesse de « la vie avant la vie ».

Quelques exemples rapides – sur lesquels je reviendrai tout à l’heure :

  • l’hyperactivité et les troubles de l’attention de l’enfant (nouvelle entité à la mode) pourraient être liés notamment à la nicotine et à la caféine absorbées par la mère enceinte ;

  • l’homosexualité des garçons serait établie in utero, en lien avec des périodes de stress de la mère, sans aucun rapport avec l’éducation ultérieure, la présence ou l’absence du père ou l’attitude « castratrice » de la mère (Balthazar, 2010) ;

  • l’apprentissage des langues étrangères – et tout spécialement de leur accent – serait largement déterminé par les sonorités entendues pendant la seconde moitié de la vie fœtale ;

  • les goûts alimentaires sont en partie conditionnés par la nourriture de la mère enceinte.

  • les rêves de la mère seraient transmis directement au fœtus (ou tout au moins, les mêmes zones cérébrales sont activités simultanément) ;

  • les jumeaux entament une relation privilégiée in utero – où leurs échanges sont quasi permanents et marquent leurs cerveau à jamais.

Rappel des étapes de la fabrication du cerveau in utero

  1. Période pré-embryonnaire :

de 0 au 20° jour. Le cœur bat dès le 21 jour.

le système nerveux apparaît au cours de la 3° semaine.

  1. Période embryonnaire :

du 21° au 80° jour, soit 11 semaines. A la fin de cette période, l’embryon mesure 5 cm et pèse 30g.

A la fin du 2° mois, le visage commence à prendre un aspect humain.

  1. Période fœtale :

De la 11° semaine au 9° mois. Le sexe est visible en échographie entre la 145° et la 16° semaine (4 mois).

De la 10° à la 18° sem. (2,3 à 4 mois) : prolifération intense des neurones : 250 000 fabriqués à la minute ! Mais – heureusement – ce foisonnement « sauvage » est régulé par une sélection drastique par « suicide  cellulaire programmé » (apoptose), éliminant tous les neurones non utilisés (« sculpture » pour dégager l’essentiel : au total, près de la moitié (42%) des synapses du cortex disparaissent avant un an.

Vers 17 à 20 semaines (4,5 mois) : les mouvements du fœtus sont ressentis par la mère.

Vers 21 à 24 semaines, = 5-6 mois (fœtus : 42-36 cm et 500-900 gr) : il suce son pouce.

A 7 mois : tous les neurones sont constituées (sauf dans le cervelet)

A partir du 7° mois, la maturation du système nerveux s’effectue, de même que la multiplication des contacts synaptiques.

7°-9° mois : circonvolutions cérébrales et scissures apparaissent sur le cortex.

Le placenta : la surface de contact entre la mère et l’enfant est de… 10 à 14 m2, et le réseau capillaire atteint une longueur de… 50 km !

Le cervelet contient la moitié de tous les neurones du système nerveux. Il gère l’équilibre et les mouvements – et notamment les mouvements fins, permettant l’articulation de la parole et l’écriture.

Le lobe préfontal représente 27% du cortex. Il intègre les informations issues de notre monde intérieur et celle du monde extérieur, et permet ainsi l’initiative et la décision.

Ainsi le cervelet et le lobe frontal – deux structures particulièrement développées dans l’espèce humaine – représentent les trois quarts de notre équipement en neurones et en connexions synaptiques.

Le cerveau se fabrique en grande partie in utero dès les premières semaines (détermination du genre…) et aussi dans les toutes dernières semaines avant la naissance (orientation sexuelle, notamment…). Cependant, la myélinisation définitive de certaines de ses zones (lobes frontaux) ne s’achève que vers 25-30 ans (d’où l’immaturité neuronale des adolescents).

 
 



Les 5 sens sont formés dès 5 mois 1 /2, et fonctionnent pendant le dernier trimestre de la grossesse.
(y compris la vue, car il ne fait pas entièrement noir
in utero).

  • Le toucher : contact avec le ventre de la mère, le placenta et le cordon ombilical. Le cas échéant, contact avec un jumeau.

  • L’ouïe : le fœtus entend la voix de ses parents, les bruits du corps de la mère et les bruits extérieurs. Il danse sur des airs de musique. Après la naissance, il reconnaît les chants et les comptines entendus in utero, il se familiarise avec les accents étrangers. Il entend les rires, les cris, les avions… son amygdale peut en être définitivement marquée (peurs, colère…). Le fœtus est doté d’une mémoire à court terme et à long terme. Lorsqu’il se retrouve dans un environnement sonore familier, il est sécurisé et le cœur bat plus lentement.

  • Le goût : le fœtus s’habitue aux menus de la mère (épices…).


Les émotions et la mémoire

Les émotions sont enregistrées dans l’amygdale de manière confuse mais souvent définitive (cf. vaccination, immunologie). L’hippocampe (souvenirs verbalisables) n’est pas opérationnelle avant l’âge de 2 ou 3 ans – d’où la prudence nécessaire sur les souvenirs d’abus sexuels de la toute première enfance.


Eric Kandel : l’expression génique

Les gènes ne se modifient guère mais s’expriment plus ou moins, voire s’endorment et meurent. Impact de l’éducation et de la psychothérapie : on ne peut développer que ce qui existe déjà.


Les trois genres

Les différences de structures du cerveau entre hommes et femmes sont particulièrement nombreuses : un livre américain de 900 pages vient d’être publié, analysant 22 000 recherches scientifiques sur ce thème : l’hypothalamus est différent, de même que les aires préoptiques
(2 fois plus de neurones chez les hommes que chez les femmes, 5 fois plus chez le rat mâle), etc.

Mais on a découvert plus récemment des structures spécifiques aux homosexuels (noyau suprachiasmatique 2 fois plus important, différences dans l’oreille interne (émissions oto-accoustiques), dans la longueur de doigts, isthme du corps calleux plus grand, etc.

L’homosexualité est prédéterminée avant la naissance par l’imprégnation hormonale embryonnaire durant les deux semaines qui précèdent la naissance et la semaine qui suit.
Ses effets sont totalement irréversibles durant toute la vie, et totalement indépendants de l’éducation, de la place du père, ou d’un traitement ultérieur. Cette orientation est liée
in utero aux hormones de la mère (qui, elles, sont liées à l’environnement conjugal et social). Il s’agit de l‘attirance innée pour le même sexe, mais le passage à l’acte reste en partie lié à l’expression de ces tendances.


Les jouets

Les mâles de toutes les espèces s’intéressent aux voitures, aux trains, à tout ce qui bouge.
Les femelles s’intéressent aux
poupées et aux peluches. Cela n’est donc pas conditionné par l’éducation sociale. Les filles sont conditionnées in utero à regarder la face humaine. Le contact visuel direct et inversement corrélé avec le taux de testostérone embryonnaire.

Lorsqu’on pose un ballon au sol, les garçons shootent dedans, les filles le ramassent et le serrent contre leur cœur.

………

PS. Malheureusement, je viens d’être hospitalisé en urgence pour un grave incident cardiaque.
Je manque de l’énergie nécessaire pour terminer cette présentation et, notamment, en tirer des conclusions psychothérapeutiques prévues.

Je voulais évoquer aussi les travaux de Stanislas Grof sur les « matrices périnatales » ainsi que ceux de Franz Veldman sur l’haptonomie…

Ce sera donc pour la prochaine fois !

Je vous laisse – pour finir – en compagnie de charmants petits jumeaux, filmés in utero et qui mènent pendant un tiers de la grossesse, une vie sociale intense, faite de complicité et de rivalité.



 
 
 


1 Naissance du cerveau, de Claude Edelman, La Sept, 1989.