Congrès international de Psychothérapie de Tokyo, Août 2006



L’évolution de la Psychothérapie en Europe


par Serge Ginger1


C’est pour moi à la fois un grand honneur et un plaisir d’avoir été sollicité pour présenter un rapide panorama sur L’évolution de la Psychothérapie en Europe.

Je vais commencer par dire quelques mots sur les 5 principales catégories de Psychothérapie ; puis, je vais rappeler quelques informations sur l’Europe elle-même et ses 50 pays, fort différents ; après quoi, j’évoquerai le développement des principales méthodes de psychothérapie actuellement pratiquées en Europe : la psychanalyse et ce qu’il est encore parfois convenu d’appeler les « Nouvelles thérapies » ; je conclurai par quelques aperçus sur la dimension sociologique de la Psychothérapie et le besoin d’instituts spécialisés de forma­tion.


Aujourd’hui, il existe au moins 365 différentes méthodes de psychothérapie — autant que de jours dans l’année… ou autant que de fromages ou de vins en France !

Chacun essaye, en effet, d’introduire quelque élément nouveau dans une méthode classique afin de parvenir à une notoriété personnelle, et tenter d’entrer ainsi dans l’immortalité ! En réalité, à peine une vingtaine de méthodes sont aujourd’hui reconnues comme « scientifi­que­ment validées » et largement pratiquées en Europe actuellement, et elles peuvent être regrou­pées en 5 courants principaux :

  1. La psychanalyse et les approches « psychodynamiques » selon Freud, Jung, Mélanie Klein, Lacan, etc. Elles représentent au total, en moyenne 25 % des psychothérapies pratiquées en Europe — avec de larges variations nationales, comme on va le voir.

  2. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : de 15 à 25 %, selon les pays. La technique de désensibilisation neuro-émotionnelle ou EMDR peut être rattachée à ce courant, bien qu’elle soit souvent combinée à d’autres approches.

  3. Les psychothérapies humanistes : Gestalt, approche centrée sur la personne, analyse transactionnelle, psychodrame, thérapies psychocorporelles, etc. Elles sont souvent combinées de manière éclectique ou intégrative, et représentent au total entre 20 % et 40 % des thérapies, selon les pays.

  4. Les thérapies familiales (où le client n’est plus une seule personne mais la famille considérée comme un tout) ; 10 à 15 % des thérapies pratiquées.

  5. Les approches transpersonnelles soulignent la dimension spirituelle et énergétique ; on peut y rattacher les approches trangénérationnelles (au total : 5 à 10 %).


L’Europe


Avant de dire quelques mots sur le développement de la psychothérapie en Europe, il me faut rappeler quelques notions de base sur l’Europe elle-même : l’Europe est un petit continent, mais elle a une influence majeure sur le monde. Elle est petite… mais très compliquée à saisir comme un tout.

Jusqu’à ces dernières années, il y avait deux grandes parties dans l’Europe : les démocraties de l’Ouest et l’Europe de l’Est — sous le contrôle de l’Union soviétique — où la véritable psychothérapie était interdite, à l’exception du comportementalisme pavlovien et de l’hypnose traditionnelle. Depuis 1990 (il y a donc une quinzaine d’années), l’Empire sovié­tique s’est écroulé, et toutes sortes de psychothérapies se sont immédiatement répandues à travers tous ces nouveaux pays libérés… et ce parfois sans aucun contrôle.

Aujourd’hui, il y a 50 pays indépendants en Europe… et quelques nouveaux pays apparaissent régulièrement dans les Balkans (au Sud-Est de l’Europe). Parmi ces 50 pays, 27 sont membres de l’Union Européenne et 23 ne le sont pas encore. L’Union Européenne essaye d’unifier les lois sur l’Éducation, le Travail, le Commerce, la Police, etc. mais elle ne légifère pas sur deux secteurs importants de la vie : la Défense et la Santé ! Ainsi, la psychothérapie demeure totalement indépendante dans chaque nation : elle est officiel­lement réglementée dans 7 pays seulement, à ce jour (Allemagne, Autriche, Finlande, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Suède), mais les lois sont très différentes d’un pays à l’autre et la pratique est libre dans les autres pays. Une loi est actuellement en discussion dans plusieurs pays : la France, la Belgique, la Pologne, la Suisse, la Grande-Bretagne…


On peut diviser l’Europe en plusieurs grandes régions, à partir des langues parlées, des traditions et de la culture, des principales religions pratiquées :

Les pays Anglo-Saxons occupent surtout l’Ouest et le Nord : Grande-Bretagne, Irlande, Allemagne, Autriche, Pays-Bas et pays scandinaves, au Nord de l’Europe. Ils sont essentiellement protestants, pragmatistes, sous une assez forte influence des USA. La culture psychanalytique y était assez développée jusqu’aux année 80, puis, depuis une vingtaine d’années, sa prégnance décroît rapidement, au profit d’approches cognitivo-comportemen­tales — considérées comme plus scientifiques.

Les pays Latins sont dans le Sud-Ouest de l’Europe : la France, l’Espagne, le Portu­gal, l’Italie, la Roumanie, ainsi que les parties francophones de la Belgique et de la Suisse. Ces pays sont en majorité catholiques, avec une forte tradition philosophique et humaniste. Les gens aiment la discussion et le contact. Une nouvelle tendance psychanalytique laca­nienne s’y est développée, de même que les psychothérapies humanistes, comme la Gestalt, l’analyse transactionnelle, etc.

Les pays Slaves se trouvent à l’Est : la Russie, la Pologne, l’Ukraine, la Biélorussie, la République tchèque, la Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Serbie et, dans une certaine mesure, les pays baltes. Ils sont soit orthodoxes, soit catholiques. Ils sont sensibles, attirés par la poésie et par les approches transpersonnelles. Ils ont découvert la psychothérapie surtout depuis les années 1990, à la fin de la période communiste, et ils ont développé rapidement des approches éclectiques et intégratives, combinant plusieurs psychothérapies occidentales classiques.

Les Balkans constituent une zone spécifique, dans le Sud-Est de l’Europe. Ils rassemblent des communautés de diverses religions : catholiques, orthodoxes, musulmans, et ont enduré plusieurs guerres depuis une douzaine d’années. Ils sont maintenant divisés en une dizaine de pays indépendants, et ils s’ouvrent à la psychothérapie — essentiellement aux approches humanistes et familiales.


Psychanalyse


On peut considérer que la plupart des psychothérapies contemporaines — avec l’exception notable des approches cognitivo-comportementales, mais aussi du psychodrame, des thérapies familiales, de la PNL, etc. — sont issues de la psychanalyse, même si certaines s’en sont clairement éloignées.

Comme on sait, ses principes de base sont la libre association verbale, permettant l’expression de l’inconscient ; les traumatismes de l’enfance sont analysés à travers le transfert sur l’analyste. Dans sa forme traditionnelle, il y a trois à cinq séances par semaine, pendant plusieurs années. Les approches « psychodynamiques » permettent plus de souplesse et même du travail en groupe

La psychanalyse existe maintenant depuis un siècle et elle a, bien entendu, considéra­blement évolué, en relation d’une part, avec le changement des mentalités et d’autre part, avec la recherche scientifique et notamment les neurosciences, la génétique et la pharmaco­logie.

Dès l’âge de 30 ans, Freud avait ouvert son premier cabinet en avril 1886, à Vienne, après un stage de quatre mois chez le Dr Charcot, en France.

Ses premiers livres fondamentaux, les Études sur l’hystérie et L’interprétation des rêves, ont rencontré peu de succès, et les 600 exemplaires du second ont mis… 8 ans pour être vendus ! Dans un autre ouvrage, Ma vie et la psychanalyse, Freud lui-même écrit, en 1924 : « Pendant plus d’une décade, je n’avais pas un seul disciple. Je suis demeuré totalement isolé : à Vienne, on m’évitait ; à l’étranger, j’étais inconnu ».

Le premier Congrès international de Psychanalyse, en avril 1908, à Salzbourg (Allemagne), a attiré seulement 42 participants : 26 Autrichiens, 5 Allemands, 6 Suisses, 2 Hongrois, 2 Anglais et 1 Américain. Il n’y avait pas un seul représentant des pays latins, slaves ou scandinaves. À la mort de Freud, en 1939, il existait 24 psychanalystes en France. Depuis, ils se sont multipliés considérablement et aujourd’hui, il y a environ 5 000 psycha­nalystes, divisés en une trentaine de société rivales… qui se combattent mutuellement ! Je vous donne tous ces détails sur la très lente évolution de la psychanalyse en France, parce que c’est le pays que je connais le mieux. Il est d’ailleurs amusant de constater que la France — qui a mis 30 ans à se laisser « convertir » à la psychanalyse —s’avère aujourd’hui le pays du monde (avec l’Argentine) où elle est la plus développée, voire impérialiste, notamment dans de nombreuses universités. 

Voici maintenant quelques éléments sur son développement dans plusieurs autres pays d’Europe :

En Allemagne, Karl Abraham fonda l’École psychanalytique de Berlin en 1908, laquelle s’est rapidement affiliées à l’International Psychoanalytical Association (IPA). En fait, parmi les 15 premiers congrès, plus de la moitié se sont tenus en Allemagne. Depuis une récente loi de 1999, la psychanalyse est l’une des trois méthodes reconnues et remboursées par la sécurité sociale.

La Hongrie a exercé une influence majeure — avec Ferenczi, Balint, Spitz, Mélanie Klein, Szondi, et une série de publications en allemand et en anglais.

Au Royaume Uni, Ernest Jones a fondé la Psychoanalytic Society of London en 1913. Freud était passionément amoureux de l’Angleterre. Dès l’âge de 8 ans, il lisait Shakespeare dans le texte. L’École anglaise a été à la fois affectée et stimulée par le conflit intense entre Mélanie Klein et Anna Freud, dès 1927… conflit qui a duré presque vingt années. En 1951, il y avait 55 psychanalystes en Grande-Bretagne. En 1981, la Société britannique comptait 370 membres, dont 40 % n’étaient pas médecins.

En Italie, la psychanalyse s’est à peine développée avant 1950. Une Société italienne de psychanalyse fut créée en 1921, mais… elle ne comprenait qu’un seul membre !

En 1954, il n’y avait encore que 15 membres, et en 1964 : 45 analystes, tous médecinss. Cependant, quinze ans plus tard, en 1980, on comptait environ 700 analystes (400 freudiens, 100 jungiens, 70 adlériens, 100 lacaniens, 40 analystes de groupe), soit 15 fois plus en 15 ans !

L’Espagne est connue pour avoir été particulièrement résistante à l’introduction de la psychanalyse, pour des raisons liées aux valeurs culturelles locales, à l’influence de l’Église catholique et à la dictature de Franco.

Les pays scandinaves (Danemark, Norvège, Suède, Finlande) ont aussi fait preuve d’une grande résistance à la psychanalyse.

En conclusion, pendant presque 50 ans, du début du siècle jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, la psychanalyse a été pratiquement la seule psychothérapie pratiquée en Europe. Elle était spécialement développée en Allemagne et dans les pays anglo-saxons. Depuis les années 70 et surtout 80, elle a « explosé » en Europe et a conquis tout particulièrement l’Italie et la France.

Aujourd’hui, il semble que l’approche dite « psychodynamique » — qui inclue différentes formes de psychanalyse, individuelle ou en groupe, sur divan ou en face-à-face, est devenue la forme de psychothérapie la plus répandue en Europe de l’Ouest, représentant entre 15 et 30 % des psychothérapies pratiquées, selon les pays.


Les « nouvelles thérapies »


Cependant, après un fort développement, pendant une période de vingt années depuis 1970, la psychanalyse semble manifester un déclin progressif par rapport aux TCC (thérapies cognitivo-comportementales), aux thérapies familiales et aux diverses variantes du mouvement dit « humaniste » ou « existentiel », comprenant : la Gestalt-thérapie (Fritz Perls), la thérapie centrée sur le client (Carl Rogers), l’analyse transactionnelle (Eric Berne), le psychodrame (Jacob Moreno), la psychosynthèse (Roberto Assagioli), la PNL, l’hypnose ericksonienne, l’analyse psycho-organique et les thérapies psychocorporelles.

Depuis quelques années, les approches transpersonnelles (Stan Grof) et l’EMDR (Francine Shapiro) gagnent du terrain, tandis que la végétothérapie (Wilhelm Reich), l’ana­lyse bioénergétique (Alexander Lowen) et la thérapie primale (Arthur Janov) sont de moins en moins populaires.


L’approche centrée sur le client (ACC)


Après Counseling and Psychotherapy (1942), Client-centered Therapy (1951), le texte de base de Carl Rogers : On Becoming a Person, a été publié en 1961, mais ce n’est pas avant 1966 que <rogers est venu pour la première fois en Europe : en France, à Dourdan, puis en Belgique et aux Pays-Bas. A cette époque son concept ne « non directivité » était le plus connu et avait rencontré beaucoup de succès. Cependant, il avait créé un certain préjudice aux idées de Rogers car le concept de « non directivité » était souvent associé à une attitude laxiste de laisser faire. Aussi, Rogers abandonna finalement cette dénomination pour celle de « approche centrée sur le client » (ACC). Cette approche apparut comme révolutionnaire par rapport à la psychanalyse freudienne et elle s’est répandue rapidement, en particulier dans les milieux éducatifs ainsi que dans les professions d’aide ou de développement personnel.

Aujourd’hui, son impact est considerable dans les pays Anglo-Saxons où l’on dénombre environ 12 000 praticiens (6 000 en Allemagne ; 2 500 en Grande Bretagne ; 1 500 en Autriche ; 1 000 en Suisse, etc.).

Dans les pays latins, encore dominés par la Psychanalyse, l’approche centrée sur le client (ou « sur la personne ») s’est développée bien plus lentement, et l’on ne décompte que quelques centaines de praticiens diplômés en France, en Espagne, au Portugal et en Italie.

Il n’existe qu’une vingtaine d’associations dans l’ensemble des pays méditerranéens, alors que l’on en compte 84 dans les pays anglo-saxons, où la pratique du « Counseling » (qui n’a topujopurs pas de traduction en français) est bien plus répandue (La British Association for Counseling or BAC , à elle seule, compte près de 20 000 membres !).


La Gestalt Thérapie (GT)


Conçue par Fritz Perls en 1942, mise en forme théorique neuf ans plus tard (en 1951), la Gestalt ne s’est développée vraiment qu’à l’occasion du mouvement international de créativité et de « libération » de Mai 1968. La Gestalt est liée à un courant anarchique, soulignant l’originalité irréductible de chaque être humain, sa responsabilité comme être unique et unifié. La Gestalt-thérapie propose une approche globale, holistique, des cinq dimensions principales de l’être humain : physique, émotionnelle, cognitive, sociale et spirituelle (Ginger, 1981) ; ou si l’on préfère — le corps, le coeur, la tête, les autres et le monde. Contrairement aux méthodes décrites précédemment (psychanalyse, approche centrée sur le client), la Gestalt introduit explicitement les dimensions physiques et artistiques et souligne l’importance du champ. Elle se pratique aussi bien en sessions de groupe qu’en sessions individuelles. Les praticiens contemporains suivent de près les recherches actuelles en neurosciences ainsi que les diverses approches de psychopathologie dynamique.

La Gestalt s’est développée rapidement en Europe de l’Ouest depuis le début des années 70 : en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, puis en France, Italie, Espagne. Aujourd’hui, l’European Association for Gestalt Therapy (EAGT) rassemble environ 50 instituts de formation dans 25 pays d’Europe, mais la Gestalt est pratiquée dans 28 pays d’Europe, parmi lesquels plusieurs pays d’Europe de l’Est — qui apprécient sa souplesse d’adaptation à différents contextes culturels (ajustement créatif).

Plusieurs pays publient une ou deux revues scientifiques (il en existe plus d’une douzaine en Europe) ; des congrès nationaux et internationaux ont lieu régulièrement et il semble bien qu’il y ait plus d’innovations en Europe qu’aux États-Unis. La Gestalt-thérapie a conquis aujourd’hui la troisième place en Europe — après les approches psychodynamiques (psychanalytiques) et les TCC.


L’analyse transactionnelle (AT)


Éric Berne a réussi à populariser la psychanalyse en la rendant accessible aux commun des mortels, à travers un vocabulaire vivant et humoristique, issu des « jeux » et transactions de la vie quotidienne. Games People Play [Des jeux et des hommes] (1964) a obtenu rapidement un succès mérité et plusieurs de ses concepts se sont répandus dans le public : l’enfant rebelle, le parent normatif, le scénario de vie, les injonctions parentales, « gagnant-gagnant », de même que d’autres termes largement connus par les thérapeutes de disciplines voisines : le contrat, le triangle dramatique de Karpman, la redécision, le reparentage, etc.

Le mouvement d’AT s’est de suite hautement organisé, avec une hiérarchie bien structurée, ce qui a provoqué parfois des critiques mais ce qui lui a permis de se développer sur des bases solides et de toucher des secteurs nouveaux, tels que l’administration, les institutions et les entreprises. Dans sa version psychothérapeutique, l’AT souligne l’importance d’un contrat clair, et intègre les dimensions cognitive, émotionnelle, comportementale et de groupe, sans négliger la dimension du transfert.

L’AT est pratiquée aujourd’hui dans 23 pays d’Europe et l’Association européenne (EATA) rassemble environ 6 000 membres. La Certification est réglementée strictement et centralisée à un niveau européen, ce qui permet de garantir un niveau comparable de compétence des thérapeutes formés dans les différents instituts.


Les thérapies familiales systémiques


Le mouvement des thérapies familiales est vaste et assez hétérogène. Je parlerai ici uniquement de l’approche systémique qui présente plusieurs éléments nouveaux et qui s’est répandue largement en Europe depuis les années 80.

La caractéristique spécifique de cette méthode est de traiter l’ensemble de la famille, composée de tous les membres habitant sous le même toit . Les thérapeutes (qui travaillent souvent en équipe) sont essentiellement intéressés part les jeux et interactions des différents membres de la famille , par leur système de communication, plutôt que par les problèmes intra-psychiques du « patient désigné » — qui est souvent le simple bouc émissaire d’un malaise familial. L’École de Palo Alto a souligné les ravages du double bind (« double lien » ou messages ambigus et contradictoires). Elle recommande des thérapies de brève durée (10 à 20 sessions), qui sont souvent enregistrées sur vidéo et observées à travers une glace sans tain, ce qui permet une action concertée de l’équipe thérapeutique. Les sessions sont souvent accompagnées d’exercices assignés à la famille dans l’intervalle des sessions — lesquelles sont souvent espacées d’un mois.

Ces thérapies familiales se sont rapidement développées dans plusieurs pays d’Europe et elles sont souvent pratiquées au sein d’institutions. L’European Family Therapy Association (EFTA) est représentée dans 10 pays et comprend plusieurs milliers de praticiens.


Le psychodrame


Jacob-Levy Moreno créa le théâtre impromptu à Vienne en 1921 : il impliquait l’auditoire dans une sorte de « théâtre en rond », sans scène déparée. Deux ans plus tard, une participante nommée Barbara, s’est trouvée profondément transformée par le rôle qu’elle jouait. Ce fut la naissance du théâtre thérapeutique. En 1925, Moreno émigra aux États-Unis, et y établit le premier théâtre thérapeutique, à Beacon, en 1936.

Le psychodrame pour enfants est arrivé en France en 1946. En 1955, le Groupe Français d’Études Sociométriques et de Psychodrame fut fondé Anne Ancelin-Schützenberger (un groupe auquel j’ai personnellement participé pendant sept années, de 1959 à 1966). Nous avons organisé le premier Congrès mondial de psychodrame, à Paris, en 1964, avec la participation de Jacob-Levy Moreno et de sa femme, Zerka. Il y avait même leur fils de 10, Jonhatan… qui jouait un rôle dans presque toutes les sessions !

Mais le psychodrame souffre d’un sérieux handicap : il est difficile de la pratiquer en sessions individuelles (excepté sous la variante du monodrame ou du « psychodrame psychanalytique individuel parisien » — où plusieurs thérapeutes jouent les sentiments, conscients ou inconscients, d’un seul protagoniste) ; de ce fait, le psychodrame est relativement peu utilisé aujourd’hui, sauf dans des structures institutionnelles d’enfants ou de retardés mentaux, ou encore dans des groupes de développement personnel, plutôt que de psychothérapie proprement dite.


La programmation neuro-linguistique thérapeutique (PNLt)


La programmation neuro-linguistique (PNL) a été développée par Grinder and Bandler, en Californie pendant les années 70. Elle était basée notamment sur l’observation attentive du travail de psychothérapeutes renommés : Fritz Perls (Gestalt-thérapie), Virginia Satir (thérapie familiale), Milton Erickson (hypnothérapie). La PNL est centrée sur le fonctionnement méticuleux de chaque personne, l’apprentissage de méthodes efficaces de communication et le changement de patterns de comportement (plutôt que sur l’analyse de comportements pathologiques — comme plusieurs des méthodes antérieures).

La formation pour obtenir ke grade de Praticien ou de Master est relativement brève (environ 150 heures).

La PNL thérapeutique a été fondée récemment (en 1999) et s’avère plus rigoureuse, impliquant une psychothérapie personnelle, une formation de 2 000 heures pendant 4 années (en PNL et dans une approche complémentaire), ainsi qu’une supervision.

Une European Association of NLPt a été créée récemment, avec des associations nationales dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest.


L’analyse psycho-organique (APO)


L’APO a été développée par Paul Boyesen à la fin des années 70 à partir de la psychologie biodynamique. L’APO combine deux approches : la psychanalyse lacanienne et l’approche psychocorporelle. En APO, une pensée n’a pas seulement un contenu, mais aussi un contenant, le corps.

L’APO est pratiquée aujourd’hui dans 8 pays d’Europe. L’institut le plus connu se trouve en France. L’European Association for Psycho-Organic Analysis (EAPOA), créée en 1986, rassemble 500 psychothérapeutes appartenant à plusieurs associations nationales. L’APO est maintenant enseignée aussi hors d’Europe. Chaque association nationale publie une revue et des ouvrages.


Autres méthodes


Dans ce bref exposé, je ne peux qu’évoquer rapidement plusieurs autres méthodes, telles que :

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) – qui sont de plus en plus ensei-

gnées dans certaines universités et utilisées dans un certain nombre d’hôpitaux, no-

tamment pour le traitement des phobies et des TOC (troubles obsessionnels compul-

sifs) ainsi que de la dépression.

L’EMDR (Eye Movement Desensi­tization and Reprocessing) qui s’avère très efficace

pour les troubles post-traumatiques (PTSD ou Post Traumatic Stress Disorders).

  • L’hypnose ericksonienne (Milton Erickson) – qui travaille avec des états modifiés de conscience — incluant une bonne dose d’humour et d’injonctions paradoxales.

  • L’analyse bioénergetique – qui intègre les travaiux de Reich, Lowen et Pierrakos, et souligne l’importance de « l’armure caractérielle » et de l’enracinement (grounding).

  • Les psychothérapies transpersonelles (telles que la respiration holotropique de Stan Grof) – qui dépasse les problèmes intra-personels et inter-personels, et ouvre aux dimensions culturelles, symboliques et spirituelles de la nature humaine.


Conclusion…


Je préfère m’arrêter là avec ce listing assez fastidieux et d’ailleurs incomplet, afin de jeter un coup d’œil sur l’évolution globale de la situation en Europe, depuis l’apparition des « nouvelles thérapies », il y a une trentaine d’années.

Il est clair que le contrôle impérialiste de la psychanalyse traditionnelle est en constante diminution dans tous les pays du monde.

Il est tout aussi clair que les thérapies familiales, les thérapies de groupe et les thérapies impliquant le corps, le mouvement, la créativité et le champ (l’environnement) — et pas seulement la parole – se développent de plus en plus.

Ces méthodes empruntent librement les unes aux autres des techniques, des attitudes et des principes. Il est courant aujourd’hui de faire appel à des approches interdisciplinaires, incluant un éclectisme empirique et une intégration théorique.

Cela inclut aussi bien la prise en compte des recherches contemporaines dans le champ des neurosciences — qui ont établi un lien étroit entre les développements psychologiques et les phénomènes biologiques (tels que les prédispositions génétiques et les aléas de l’expression génique, les modifications des neurotransmetteurs, la création de nouvelles voies neuronales, etc.). Ces découvertes ont nourri la pratique de plusieurs approches, telles que la Gestalt-thérapie ou la PNLt.


Dimension sociopolitique


La psychothérapie est de plus en plus intégrée aujourd’hui à l’environnement quotidien du citoyen moyen. Elle n’et plus réservée aux malades et aux « fous » ! Il existe une zone intermédiaire, un carrefour entre les sphères médicales, psychologiques et sociales : être en deuil n’est pas une maladie, pas davantage que se trouver au chômage, être émigré, divorcé ou vivre dans l’anxiété d’être accosté dans quartier « à risques » de la banlieue…

Une récente enquête nationale française (2006) a montré que 8 % de la population est actuellement ou a été en psychothérapie. Il semble que dans d’autres pays, tels que l’Autriche, le pourcentage serait encore plus élevé, voire même doublé ! De toute façon, même une telle proportion entraîne le besoin d’une « densité » de 50 psychothérapeutes qualifiés pour 100 000 habitants (puisque qu’on trouve 50 à 100 personnes en difficulté psychologique ou psychosociale pour 1 000 habitants, et si l’on considère qu’en moyenne un psychothérapeute professionnel peut suivre environ 100 clients/patients par an, en psychothérapie longue ou brève, individuelle ou en groupe).

Comme on le sait, de 5 à 7 ans sont nécessaires pour la formation professionnelle complète d’un psychothérapeute qualifié Il est donc nécessaire d’augmenter le nombre dd’instituts de formation dans la plupart des pays de tous les continents..

Il importe que des lois garantissent la sécurité des citoyens à travers l’exigence d’un haut niveau de formation spécialisée et l’engagement déontologique à une éthique professionnelle, assurant le respect de l’autonomie individuelle, des croyances de chacun et d’une confidentialité absolue.

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Serge Ginger (Paris, France)

Responsable du Certificat européen de Psychothérapie (CEP)

s.ginger@noos.fr


1 Serge Ginger est psychologue clinicien, psychothérapeute didacticien, fondateur de l’École Parisienne de Gestalt (EPG), président de la Fédération internationale des Organismes de Formation à la Gestalt (FORGE), secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P), « Registrar » de l’European Association for Psychotherapy (EAP), président de la Commission européenne d’Accréditation (TAC) des instituts de formation des 41 pays membres. Auteur de plusieurs ouvrages, traduits en 12 langues.