23 juillet 2010


Où sont donc passés les psychothérapeutes ?


D’après une récente enquête nationale, le nombre des « usagers » ayant recours (ou ayant eu recours) à une psychothérapie serait de 8 % de la population générale adulte – soit environ 4 millions de nos concitoyens, souffrant de problèmes psychosociaux : dépression, anxiété, phobies, conflits conjugaux ou familiaux, stress au travail, chômage, traumatismes psychologiques, solitude… Il s’agit donc d’un problème sociétal important.

Jusqu’à présent, il n’existait aucune réglementation concernant l’exercice de cette profession, et ainsi un certain nombre de charlatans, sans formation sérieuse, voire de « gourous » de certaines sectes (comme la scientologie) s’étaient infiltrés dans cette activité.
Après onze années de débats parlementaires houleux, l’État a fini par « confisquer » le titre de « psychothérapeute » et l’octroie essentiellement à des « psychopathologues » – non formés, pour beaucoup d’entre eux, à la psychothérapie proprement dite. Le terme de psychothérapeute a été entièrement vidé de son contenu spécifique et serait accordé :

  • sans sélection en ce qui concerne l’équilibre et la maturité de la personnalité ;

  • sans psychothérapie personnelle ;

  • sans formation à la psychothérapie proprement dite ;

  • sans supervision, ni engagement de formation permanente ;

  • sans engagement déontologique explicite ;

  • sans reconnaissance par des pairs qualifiés… 

Il ne s’agirait donc plus que d’une « coquille vide » et – puisque les professionnels n’ont pas réussi à obtenir une loi raisonnable – une solution simple sera… un boycott général. Il semble, en fait, que ce titre, dénaturé par l’État, n’intéresse guère ni les psychiatres, ni les psychologues, ni les psychanalystes, ni les psychothérapeutes certifiés !…

Ainsi, la loi du 9 août 2004, modifiée le 21 juillet 2009, le décret d’application du 20 mai et les arrêtés des 8 et 9 juin 2010, sans être annulés, ne seraient tout simplement pas appliqués, ou très partiellement… et il y aurait, sur le marché, bien peu de soi-disant « psychothérapeutes » accrédités par l’État !

Ces textes réglementent le titre de « psychothérapeute » et non l’exercice de cette fonction – qui n’est toujours pas définie par le législateur. Ils précisent les formations de base nécessaires pour se spécialiser en psychothérapie. Aucune formation professionnelle n’est actuellement proposée en France dans les universités publiques ; seuls quelques établissements privés d’enseignement supérieur proposent des formations sérieuses qui impliquent les six aspects mentionnés ci-dessus. Une telle formation complète permet d’obtenir notamment le Certificat Européen de Psychothérapie – dont le niveau s’établit à bac + 7… mais ce certificat n’est pas reconnu par les pouvoirs publics français.

L’université publique n’étant pas à même de remplir l’ensemble de ces conditions (qui font consensus au niveau européen), se contente de proposer un enseignement de psychopathologie – lequel ne représente que 20 % environ de la formation globale. La psychopathologie permet de préciser le diagnostic des troubles, mais pas les stratégies de traitement (une douzaine de méthodes sont couramment pratiquées en France : la psychanalyse, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), les thérapies humanistes (Gestalt-thérapie, analyse transactionnelle, approche « centrée sur la personne », etc.) ; les thérapies familiales ou conjugales…

La nouvelle loi ne prend en considération que les diplômes universitaires de psychologue ou de médecin (bien qu’ils ne comprennent pas de formation en psychothérapie proprement dite). Elle prévoit un régime d’exception pour les psychanalystes (pourtant formés eux aussi dans des instituts privés) et des mesures transitoires pour les autres psychothérapeutes exerçant depuis au moins cinq ans à la date du décret.

Cependant, seuls les psychiatres peuvent prétendre à l’utilisation immédiate du titre de psychothérapeute ; tous les autres professionnels doivent se soumettre à une formation complémentaire en psychopathologie, assortie d’un stage de plusieurs mois dans des établissements qui doivent être accrédités prochainement par arrêtés. Les détails de cette formation seront décidés au cas par cas par des commissions régionales (non encore constituées). Rien n’est prêt encore pour l’application effective de cette réglementation… au 1er juillet !

Toutes les organisations professionnelles de psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes protestent avec véhémence contre ces nouvelles dispositions – qui semblent mettre en doute la valeur des formations publiques ou privées qu’ils ont déjà longuement suivies. De plus, les formations décidées par le législateur leur paraissent notoirement insuffisantes pour garantir la sécurité du public ayant recours à la psychothérapie, puisqu’elles font l’impasse sur plusieurs éléments essentiels et spécifiques à une telle formation (thérapie personnelle, formation – théorique et pratique – à des méthodes scientifiques, supervision, etc.).

La loi contraint donc les spécialistes qualifiés à exercer sous un label nouveau, tel que celui de « psypraticien certifié », car il est probable que peu de professionnels sérieusement formés vont entreprendre les longues démarches, formations et stages exigés par la loi et son décret d’application, pour bénéficier d’un titre… fondamentalement dévalorisé.

Si cette loi inappropriée n’est pas appliquée, le public ne risque rien. Il est même souhaitable pour lui qu’elle tombe dans l’oubli et soit « mise entre parenthèses ». Les usagers pourront continuer à se fier aux annuaires des organisations professionnelles – qui ont, depuis plus de 30 ans, mis en place des conditions rigoureuses de sélection, de formation et de supervision, accompagnées de règles d’éthique, et il leur est conseillé d’interroger directement les professionnels consultés, sur leur formation et leur code de déontologie, selon les termes de la Charte nationale des usagers de la Psychothérapie (www.ff2p.fr).


(5 970 caractères)

Serge Ginger,

Psychologue clinicien, psychothérapeute didacticien, enseignant à la Sigmund Freud University, secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P), président de la Commission européenne d’accréditation des instituts de formation à la psychothérapie dans les 40 pays membres de l’European Association for Psychotherapy (EAP).



2