IXe Congrès International de Gestalt-thérapie


Madrid (Espagne), 30 avril-3 mai 2009

(rassemblant 700 psychothérapeutes de 25 pays)


(Conférence le vendredi 1er mai de 9 h à 10 h 30

(en anglais, avec traduction en espagnol)


Les neurosciences valident la Gestalt-thérapie



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ar Serge Ginger


Psychologue ; psychothérapeute formé en psychanalyse, psychodrame, Gestalt et EMDR

Fondateur de l’École Parisienne de Gestalt (EPG)

et de la Fédération internationale des Organismes de Formation à la Gestalt (FORGE)

Professeur de neurosciences à la Sigmund Freud University (Paris)

Secrétaire général de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P)

Président de la Commission européenne d’accréditation des instituts de formation

à la psychothérapie, de l’European Association for Psychothery (EAP).


Introduction

Je dispose d’une petite heure pour vous convaincre que les intuitions géniales des précurseurs et fondateurs de la Gestalt-thérapie, sont aujourd’hui confirmées et validées par les avancées considérables des neurosciences, depuis une vingtaine d’années. Une heure, c’est plus qu’il n’en faut pour développer cette évidence — pourtant encore souvent méconnue !

Nous verrons pourquoi ce type de psychothérapie à médiation corporelle s’avère plus profond, plus rapide et plus efficace que les psychothérapies essentiellement verbales, comme la psychanalyse, l’analyse transactionnelle traditionnelle, ou la PNL…


En effet, tout contact ou mouvement du corps mobilise l’hémisphère droit du cerveau, lequel est directement relié aux zones limbiques profondes du cerveau émotionnel — par « la voie perforante » — liaison synaptique originale qui n’a pas son équivalent dans le cerveau gauche, verbal et rationnel.

Toute émotion est accompagnée de production de neurotransmetteurs spécifiques (on en connaît aujourd’hui près d’une centaine) qui modulent l’humeur et la pensée. La plupart de ces neurotransmetteurs circulent à l’intérieur du cerveau et du corps de chacun, mais certains d’entre eux diffusent dans l’environnement de l’organisme, et « touchent » ainsi l’interlocuteur qui se trouve à proximité, notamment le psychothérapeute : je veux parler des fameuses phéromones — qui constituent notre réel « 6e sens », le sens chimique, un des éléments de ce qu’on appelle souvent l’intuition.

Notre 6e organe des sens, l’OVN (l’organe voméro-nasal) est invisible à l’œil nu et situé dans la profondeur du nez ; il est chargé de capter ces phéromones (qui traduisent notre humeur profonde), est totalement distinct des voies olfactives, n’a aucune odeur, et n’a aucune liaison directe avec les zones corticales de notre cerveau conscient. Ses informations sont donc totalement inconscientes et touchent directement notre sensibilité profonde non verbalisable.

Je soulignerai aussi le rôle et l’importance de la verbalisation a posteriori des affects ressentis, qui seule permet l’enregistrement, « l’engrammation » cérébrale des expériences vécues, et donc leur exploitation ultérieure. C’est un peu comme lorsque nous avons terminé un travail sur l’écran de notre ordinateur : pour en conserver la trace et pouvoir le retrouver et le poursuivre, il est indispensable de donner un titre verbal au document. Le titrage n’est pas le travail, mais un simple repère — cependant absolument nécessaire. De même, le travail verbal n’est pas en soi un travail thérapeutique, mais un repérage.

Bien entendu, la parole peut déclencher une émotion, et donc des modifications neuronales (poussée de dendrites, nouvelles liaisons synaptiques, production de neurotransmetteurs ou hormones…). Dans ce cas, on peut dire que « Le Verbe s’est fait chair » : la parole s’est incarnée et a produit un effet, potentiellement durable. Mais la plupart du temps, dans l’expérience quotidienne, le processus est inverse : l’émotion vient d’abord, spontanément ; elle n’est conscientisée et verbalisée que dans l’après-coup.

En fait, dans notre fonctionnement « Corps et conscience », tout est circulaire et systémique et les interrelations biologiques, psychologiques et sociales sont permanentes, et fonctionnent dans les deux sens : l’appétit me fait saliver… et la salive aiguise mon appétit ; une caresse ou un massage stimule la production d’ocytocine et l’ocytocine développe mon besoin d’attachement, de tendresse, de compréhension, de confiance et d’amour.


* * * *

Freud lui-même écrivait, dès 1920 :

« La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées ; nous devons nous attendre à recevoir d'elle les lumières les plus surprenantes, et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s'agit peut-être de réponses telles qu'elles feront s'écrouler tout l'édifice artificiel de nos hypothèses (psychanalytiques) ! » — écrivait Freud, en 1920

Plus tard, Reich, à son tour, recherchait les manifestations psychophysiologiques de l'énergie biochimique et cosmique, et soulignait les liens entre la régulation neurovégétative, la sexualité et la psychopathologie…

Rappelons, au passage, que les premiers psychanalystes étaient pour la plupart, des médecins, formés en biologie.


« Quelques décennies » ont passé : où en sommes-nous aujourd'hui ?


Aujourd’hui, nous assistons au développement progressif de nouvelles disciplines… aux États-Unis et, peu à peu, en France : la neuropsychanalyse et les neurosciences sociales1.


Je vais maintenant entrer un peu plus dans le détail des recherches contemporaines, utilisant notamment les ressources de l’IRM (résonance magnétique), qui permet de voir au scanner l’activité des différentes zones du cerveau, en temps réel, et je vais citer quelques exemples concrets, illustrant l’intérêt de l’étude des neurosciences pour une exploitation optimale des techniques psychothéra­peutiques.

Ces recherches ont révélé de nombreux aspects du fonctionnement du cerveau qui étaient peu connus auparavant, bien que souvent pressentis intuitivement par plusieurs précurseurs, tels que Freud, Fenichel, Ferenczi, Reich, Navarro ou Perls — qui propose une approche globale, holistique, intégrant les cinq dimensions principales de l’être humain : physique, émotionnelle, cognitive, sociale et spirituelle.


J’évoquerai, par exemple, le fait que la myélinisation des circuits de liaison orbitaux-frontaux, permettant l’intégration des informations sur l’état interne de l’organisme et sur son environnement, et donc une prise de décision adaptée, n’est terminée, en moyenne, qu’aux environs de 25 ans, contrairement à ce que l’on supposait. Cela explique les comportements parfois impulsifs des adolescents, dont les émotions (limbiques) ne sont pas suffisamment contrôlées par le niveau cortico-frontal (conscient et volontaire).

On rencontre le même type d’immaturité ou de dysfonctionnement neuronal chez les autistes, et même chez les personnalités limites (borderline) : leur amygdale est hypersensible à tout stress, tandis que leurs liaisons frontales sont, au contraire, inhibées — ne permettant pas une gestion saine de l’humeur et des passages à l’acte.

Un travail psychocorporel, mobilisant directement les structures limbiques sous-corticales, s’avère donc particulièrement efficace, notamment avec ces catégories de clients (adolescents et borderlines).


La psychothérapie est-elle une « chimiothérapie » qui s’ignore ?


Les récents travaux des neurosciences permettent de réaliser qu’en fait, tout apprentissage — ou toute psychothérapie — agit directement sur les circuits synaptiques et modifie parallèlement la biochimie interne du cerveau : la production des hormones et des neurotransmetteurs (tout spécialement la dopamine, la sérotonine, l’adrénaline, la noradrénaline, la mélatonine, les endorphines, la testostérone, les œstrogènes…). Cela est particulièrement vrai pour les psychothérapies à médiation corporelle ou émotionnelle — comme la Gestalt-thérapie… mais cela sous réserves qu’elles soient suivies par un temps d’intégration verbale — faute de quoi, l’activation intempestive d’émotions, ou une forte catharsis, favorisées par des techniques maladroites de « debriefing », risque au contraire de maintenir, voire même d’accroître, les séquelles de traumatismes antérieurs, par un conditionnement neuronal négatif.


Trois étapes historiques


Il y a quelques années encore, on opposait volontiers la chimiothérapie et la psychothérapie : les psychiatres traditionnels souriaient, avec condescendance, devant les affirmations des psychanalystes et des psychothérapeutes, et considéraient leurs méthodes comme des « distractions mondaines à la mode » ; ils ne faisaient confiance qu'aux médicaments, dûment contrôlés par les laboratoires, après des tests en « double-aveugle », les comparant à des placebos.

Après la révolution des antibiotiques en médecine infectieuse, vint la révolution des neuroleptiques en médecine mentale : enfin, on met au point une série de molécules qui agissent directement au niveau du cerveau et modifient le comportement (tranquillisants, antidépresseurs, stimulants, antidélirants ou neuroleptiques). En 1952, Henri Laborit introduit un nouveau produit psychotrope (qui se dirige vers le psychisme), le largactil, qui permet la suppression progressive de la camisole de force dans les hôpitaux psychiatriques, la remplaçant par ce qu'on a appelé (non sans quelque exagération) « la camisole chimique ».

On sait que la France détient le triste record du monde d'utilisation des psychotropes (on en consomme 3 fois plus que nos pays voisins : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie ou l’Espagne) : le Temesta est devenu « l'aspirine de la psyché », et un million et demi de nos concitoyens consomment aujourd'hui du Prozac. Ces nouveaux médicaments, pour efficaces qu'ils soient, ne sont pas dénués d'effets secondaires regrettables : somnolence, perte d'initiative, trous de mémoire, baisse sensible de la libido… voire même suicide — notamment en cas d'interruption inopinée d'un traitement chez un jeune (dont les circuits frontaux de contrôle sont encore immatures).


Dans un second temps, au lieu d'opposer chimiothérapie et psychothérapie, on les a associées : la psychothérapie permet en effet, de prolonger et d'élargir l'effet d'un traitement médicamenteux et d'en diminuer progressivement le dosage ; tandis qu'à l'inverse, la chimiothérapie permet de préparer, d’accompagner ou de prolonger une approche psychologique, en apaisant l'angoisse ou en coupant le délire.


Mais voici que nous entrons aujourd’hui dans une troisième phase : non plus opposition, ni simple complémentarité, mais identité d'un processus à deux faces : on prend conscience que, finalement, certaines psychothérapies sont des chimiothérapies qui s'ignorent. En effet, leur action entraîne des modifications neurophysiologiques et biochimiques, à la fois rapides et durables (on a « réamorcé la pompe »). Avec l'avantage majeur qu'elles sont strictement personnalisées et dosées spontanément par l'organisme — et cela, parfois au milliardième de milligramme près, tout comme notre organisme surveille sans cesse le taux du sucre dans le sang, celui des vitamines ou des Oméga 3, ou encore du fer ou du zinc (sans lequel nous n'aurions pas d'odorat).


Une biochimie subtile et personnalisée


Ainsi, par exemple, une injection d'un milliardième de gramme d'ocytocine (l’hormone qui fait jaillir le lait, et qu’on a baptisée l’hormone de l’attachement — voire de l’amour) suffit à induire aussitôt un comportement maternel chez une femelle vierge (rate ou brebis)2. On sait aujourd’hui que cette ocytocine est produite non seulement lors de l’accouchement, mais aussi à chaque contact physique, et notamment pendant un travail psychocorporel, un massage, pendant la caresse d’un bébé, ou encore à l’occasion d’une relation amoureuse.

Aucune administration d’un médicament externe ne peut prétendre s'adapter aux variations subtiles et permanentes des dosages hormonaux de chaque patient : chaque repas, mais aussi chaque émotion, modifie cet équilibre. Rappelons, à titre d'exemple, que tout succès (amoureux, sportif, social ou intellectuel) peut doubler instantanément le taux de testostérone dans le sang ; quant à un orgasme, il multiplie… par quatre le taux de la testostérone et des endorphines3 ! Cette poussée subite de testostérone explique le comportement — somme toute surprenant — des joueurs de football qui viennent de marquer un but, et qui se « sautent » dessus, dans un élan érotique spontané, où encore celui des vainqueurs de Formule 1 automobile qui, dans leur excitation sexuelle, ouvrent une bouteille de Champagne… pour « l’éjaculer », au lieu de la boire !

Rappelons-nous que la même testostérone gère à la fois l'agressivité, mais aussi le désir sexuel — y compris, chez la femme. C’est donc l’hormone de la conquête, aux deux sens du terme (conquête amoureuse et conquête militaire). Ces deux pulsions fondamentales de vie — et de jeunesse — (survie de l'individu et survie de l'espèce) sont en fait très liées ; elles se côtoient d’ailleurs dans l'hypothalamus, séparées simplement par une zone de quelques millimètres… entre la zone de l’agressivité et celle de la sexualité : la zone de gestion du plaisir ! En Gestalt-thérapie, on utilise parfois cette proximité : par exemple, pour développer une sexualité défaillante, à travers l'agressivité ludique — laquelle est plus facile à gérer dans le respect de la déontologie !


Et maintenant, deux petites expériences


Au fait, nous pouvons de suite faire un peu de pratique… et vous pouvez faire monter mon taux de testostérone !…

(silence… en attendant des applaudissements)… Merci !

A mon tour, maintenant, de vous proposer une auto-injection — indolore, rassurez-vous — de dopamine (silence)… Voilà qui est fait ! Mon silence, imprévu, a stimulé votre curiosité, et pendant cette fraction de seconde d’attente et de surprise, vous avez fabriqué de la dopamine, le neurotransmetteur de l’éveil, de la vigilance et de l’awareness.


Mais il est temps maintenant que nous nous calmions !… De fait, je viens de vous faire une nouvelle piqûre ; mais cette fois-ci, c’était de la sérotonine, le neurotransmetteur de remise en ordre, induit par les explications rationnelles que je suis en train de proposer.

En somme, on conduit un entretien thérapeutique comme on conduit une voiture : en jouant sans cesse sur les pédales d’accélérateur et de frein (la dopamine et la sérotonine) !

On a isolé aujourd'hui près d'une centaine de ces neurotransmetteurs et neuromodulateurs. Ainsi par exemple, tout désir (la faim, la soif, le sexe) et tout plaisir (même artistique ou intellectuel) est corrélé à trois neurotransmetteurs :

• la dopamine, associée à la tension du désir ;

• la noradrénaline, liée à l'excitation du plaisir partagé ;

• les endorphines, entraînant le bien-être et le repos.


Deux prises de sang, espacées de 5 minutes de rêveries optimistes (visualisation positive), permettent de constater une élévation moyenne de… 53 % du système immunitaire !

Aux États-Unis, on a pu filmer récemment, par diverses techniques d'imagerie cérébrale, des modifications — visibles et durables — de circuits neuronaux, par stimulation répétée du buissonnement neuronal (le « sprouting »), provoqué par une psychothérapie chez des malades atteints de TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Parallèlement, on peut constater, bien entendu, d’une manière analogue, des modifications spectaculaires, tant du comportement observable que du vécu subjectif de patients, à la suite de traitements chimiothérapiques.

Ces deux approches ne sont donc pas concurrentes mais complémentaires, voire interchangeables.

La matière agit sur l’esprit et l’esprit agit sur la matière, de manière systémique et circulaire.


Et maintenant, il me reste 20 minutes pour dire quelques mots sur trois thèmes :

l’hérédité et l’acquis ;

la neurophysiologie du rêve ;

• le sexe et le cerveau.


Hérédité et acquis (génétique et plasticité)


Il en est de même de l’éternel faux problème de l’inné et de l’acquis — qui nous concerne directement, nous autres psychothérapeutes : à quoi bon s’évertuer à développer des aptitudes ou modifier des comportements ou des ressentis, si tout est prédéterminé par nos dispositions héréditaires ? Malgré toutes les idéologies démocratiques qui se voudraient rassurantes, il n’est pas contestable que nous ne naissons pas égaux : il y a des grands et des petits, des blonds et des bruns, des Noirs et des Blancs, tout comme il y a des personnes plus intelligentes et d’autres moins douées, que ce soit pour les mathématiques, pour le sport ou la musique.

Alors, tout serait-il joué à la naissance ? Heureusement, non ! Nous ne sommes ni prisonniers de nos gènes, ni libres pour autant !

En chiffres très arrondis, les chercheurs considèrent aujourd’hui que notre caractère peut se répartir en trois tiers environ. Il apparaît :

• pour 1/3 héréditaire : chromosomes du noyau de la cellule (notre ADN) ;

pour 1/3 acquis : bain culturel, éducation, exercice ou entraînement, circonstances fortuites… ou psychothérapie ;

pour 1/3 congénital, c’est-à-dire acquis pendant les premières semaines de la vie intra-utérine ; ainsi, par exemple, l’embryon est féminin pendant les premiers jours4, et la masculinité est une lente conquête, hormonale puis éducative et sociale. En réalité, la fille n’est pas un garçon qui a perdu son pénis (comme le supposait Freud), mais le garçon est une fille qui a gagné un pénis. (L’envie de pénis est une hypothèse non vérifiée par l’expérience : ainsi, chez les transsexuels, on trouve aujourd’hui… cinq fois plus d’hommes désirant devenir une femme, que de femmes voulant devenir un homme !).

Pendant la guerre, il naît deux fois plus d’homosexuels mâles (ce serait dû au stress de la mère, perturbant son équilibre hormonal pendant la grossesse)5.


Les parts héréditaire et congénitale semblent donc importantes : ainsi, par exemple, chez les vrais jumeaux garçons (homozygotes), si l’un est homosexuel, l’autre l’est aussi dans 60 % des cas ; chez les faux jumeaux (hétérozygotes), on ne le constate que dans 30 % des cas, soit deux fois moins souvent (mais cependant 5 fois plus que dans la population générale).


Pour de nombreuses aptitudes ou prédispositions — telles que l’intelligence, le don pour la musique, le sport, et même l’optimisme6 — on retrouve ces trois tiers (héréditaire, acquis in utero, acquis pendant la vie), dans des proportions légèrement variables. Ainsi face à un même événement, chacun voit « le verre à moitié vide ou à moitié plein »…

De toute façon, il ne s’agit que de prédispositions qui peuvent être soit développées, soit inhibées par l’éducation ou par la psychothérapie — lesquelles favorisent ou neutralisent l’expression des gènes sous forme de protéines (comme l’a démontré Eric Kandel — professeur à l’université de New York, qui poursuit ses recherches à 80 ans… comme moi ! — et vient d’obtenir le Prix Nobel en l’an 2000). L’hérédité n’est donc pas une « fatalité » !

Il convient de souligner, au passage, qu’un accroissement de 20 % seulement transformerait un homme normal (1,85 m) en géant (2,20 m), ou encore un bon coureur, en véritable champion. La psychothérapie peut, de même, transformer un gros dépressif… en dépressif léger !… voire en homme heureux !

Cette plasticité fondamentale du cerveau se maintient tout au long de la vie, jusqu’à un âge avancé : ainsi, on vient encore de confirmer récemment par des techniques d’imagerie cérébrale que la surface du cortex représentant la main gauche s’élargit régulièrement chez les violonistes, pendant que les aires d’orientation spatiale vont jusqu’à doubler chez les chauffeurs de taxi londoniens (Londres est célèbre pour la complexité de son trafic).

Parmi les thérapies émergeantes, l’EMDR exploite directement cette plasticité, en modifiant rapidement certaines liaisons neuronales et la production de neurotransmetteurs.


Neurophysiologie du rêve


Puisque nous évoquons, avec l’EMDR, le mouvement rapide des yeux qui caractérise le sommeil paradoxal (ou rêve), jetons un rapide coup d’œil, au passage, sur la neurobiologie du rêve.

L’approche psychanalytique du rêve a dominé entre les années 1900 et 1960 ; mais il n'en est plus de même aujourd'hui — notamment à la suite des travaux du Français Michel Jouvet.

On sait aujourd'hui que Freud s’était partiellement trompé : le fœtus commence à rêver in utero, dès le 7e mois de la grossesse — donc, bien avant d'avoir des souvenirs conscients à refouler, « censurés » par le Surmoi, selon l’hypothèse périmée de Freud — et le nouveau-né continue de construire ainsi son cerveau pendant 60 % de son temps. La femme enceinte double d'ailleurs son temps de rêve pour « accompagner » la neurogénèse de son enfant. Il n'est pas exclu qu'une partie de ces rêves permette la transmission inconsciente de son vécu émotionnel (lequel peut être modulé par une thérapie psychocorporelle), grâce à un enregistrement précoce durant les longues périodes de rêves partagés (Ginger, 1987).

Non seulement le fœtus, mais tous les animaux supérieurs rêvent. Les animaux à sang froid (poissons, reptiles) ne rêvent jamais, mais leur système nerveux se régénère tout au long de leur vie (c’est la neurogénèse permanente), renouvelant les neurones, tout comme les autres cellules plus « vulgaires » de leur organisme. Ainsi, ils en sont réduits aux instincts innés, mais ne peuvent acquérir ou conserver des apprentissages complexes.

Pendant le rêve, l'animal est particulièrement vulnérable : il est provisoirement aveugle, presque sourd et paralysé. Quoi d'étonnant alors que le rêve implique tout d'abord un sentiment de sécurité. Ainsi, les vaches rêvent jusqu'à trois fois plus à l'étable que dans les prés ! Et les grands carnassiers, sûrs d'eux-mêmes, se permettent de rêver durant 40 % de leur temps de sommeil, tandis que les pauvres animaux pourchassés n'osent y consacrer que 5 % de leur temps !

L'homme rêve, en moyenne, pendant 20 % de son temps de sommeil (ce qui nous situe entre les prédateurs et les victimes !), soit environ 100 minutes chaque nuit — cela, qu'on s'en souvienne ou pas. On sait que tout le monde rêve… mais huit minutes après le réveil, 95 % du contenu des rêves a déjà été oublié !

Le rêve est aussi différent du sommeil que de l'éveil, et il implique une grande activité du cerveau : pendant le rêve, on consomme autant de glucose que pendant l'éveil… ce qui explique qu'on maigrit en rêvant (autant qu’en pratiquant le jogging) ! En fait, les 2/3 du cerveau droit sont mobilisés, au niveau hypothalamique (besoins), limbique (émotions et mémoire), cortical (images) et frontal (synthèse, projets, visions) — pendant que la communication avec le cerveau gauche (analyse verbale rationnelle et critique logique) est coupée. En revanche, la communication entre les deux hémisphères, par le corps calleux, subsiste pendant le sommeil sans rêve.

On a baptisé le rêve « le cordon ombilical de l’espèce » : il transmet, en effet, les compor­tements fondamentaux nécessaires à la survie. Mais, il les enrichit et les met à jour par l’enregis­trement des acquis de l’expérience, permettant ainsi « l’individuation » et la construction de la personnalité — somme de l’inné et de l’acquis.

C’est pendant le rêve que se fixeraient nos souvenirs — non seulement les informations que je suis en train de vous donner maintenant — mais surtout les souvenirs chargés d'émotions, les expériences importantes, positives ou négatives, de notre vie, et notamment les séances de thérapie.

Un rat privé de rêve perd une grande partie de ses facultés d'apprentissage. Il en est de même, des patients soumis pendant de longues périodes à des traitements neuroleptiques ou antidépresseurs — qui diminuent, voire suppriment, les temps de rêve. Une privation prolongée de rêves favorise souvent l'apparition de délires compensatoires, à caractère agressif ou sexuel7, ainsi que de tendances boulimiques.

Ainsi, le rêve remplirait deux fonctions opposées mais complémentaires :

en tant que « cordon ombilical de l'espèce », il nous nourrit de notre origine, révise chaque nuit notre programme génétique et valorise les fonctions de survie (agressivité et sexualité) : les chats rêvent de chasse et d'attaque, tandis que les souris rêvent de fuite et de petits trous !… Et les hommes (comme les femmes), rêvent de sexualité. Le rêve joue ainsi un rôle de « rempart contre la culture » — puisque notre éducation, elle, s'oppose souvent à ces deux pulsions vitales ;

mais le rêve serait parallèlement un important facteur d'individuation (ce qui me différencie de mon voisin), par la prise en compte de mon expérience originale.

En résumé, le rêve permettrait l'intégration de ma mémoire individuelle à notre mémoire collective, assurant ainsi une fonction essentielle de synthèse de l'acquis et de l'inné.


Le cerveau et le sexe


Les neurosciences sociales ont souligné que la sélection naturelle a « sculpté » progres­sivement notre génome, afin qu’il soit sensible au contact et aux relations avec nos proches. L’empathie existe déjà chez les mammifères : le rat est prédisposé dès la naissance à ressentir la détresse de ses voisins, et il module son comportement pour épargner ses congénères8. Cette attention à l’autre est d’ailleurs développée davantage chez la femelle.

Vous savez sans doute qu’on a pu montrer que l’homme et le singe possèdent un patrimoine génétique de base, commun à 98,4 % ; ce qui laisse 1,6 % de différence seulement… contre environ 5 % de différence génétique entre l’homme et la femme. Ainsi, un homme mâle est physiologi­quement plus proche d’un singe mâle que d’une femme !… (Et, bien entendu, les femmes s’avèrent proches des guenons !).


Tous les chercheurs en neurosciences sont d’accord aujourd’hui pour considérer que :

Le cerveau gauche (celui qui est logique, scientifique et surtout verbal) est plus développé chez les femmes, de même que l’hippocampe (qui permet la mémorisation) ;

Et le cerveau droit (analogique, artistique et émotionnel) est plus développé chez les hommes — cela contrairement à ce que pense encore le grand public (voire même certains thérapeutes ici présents !), et cela sous l’influence directe de la testostérone. De même l’amygdale des hommes est plus importante et plus réactive aux émotions fortes, comme la colère ou la peur.

L’hémisphère droit gère l’espace, l’ici et maintenant et l’inclusion au groupe — souvent valorisés dans les thérapies psychocorporelles, tandis que l’hémisphère gauche gère le temps linéaire (le passé et le futur), la séparation de l’environnement et les frontières du moi — davantage encouragées dans les thérapies verbales.

Ainsi donc, la femme est plus portée sur le partage verbal, la communication, la collabo­ration et l’empathie, tandis que l’homme est centré sur l’action et la compétition. Cela n’est, bien sûr, valable que sur le plan statistique, car il y a des exceptions — même dans cette salle ! Il existe évidemment des femmes grandes et des hommes petits… mais ce n’est pas une réalité générale ! Ces différences sont liées à la fois à l’éducation sociale et à la biologie, et se sont élaborées peu à peu, tout au long de deux millions d’années de sélection naturelle, depuis que l’homme préhistorique courait, en silence, à la chasse et à la guerre, tandis que les femmes restaient à la caverne éduquer les petits et bavarder avec eux en se livrant à quelques cueillettes sur place. !

À l’âge de 9 ans, les filles présentent, en moyenne, 18 mois d’avance verbale sur les garçons. À l’âge adulte, les femmes téléphonent en moyenne, 20 min par appel… contre 6 min pour les hommes. La femme a besoin de partager ses idées, ses sentiments, ses émotions, tandis que l’homme contrôle et retient les siens : il transmet des informations et cherche rapidement des solutions… et la femme ne se sent pas « écoutée » !

En résumé, la femme est moins émotive que l’homme, mais elle exprime davantage chacune de ses émotions, alors que l’homme est, en réalité plus émotif, mais il n’exprime pas ses émotions — ce qu’il importe de ne jamais perdre de vue, tant dans la vie conjugale qu’en psychothérapie !

Comme on l’imagine facilement, ces différences dans le fonctionnement cérébral et hormonal entre les deux sexes entraînent de nombreuses retombées dans la vie quotidienne, ainsi que dans l’action thérapeutique.

• Soulignons encore que le nombre de femmes qui consultent (et aussi qui offrent leurs services en psychothérapie) est environ 3 fois supérieur à celui des hommes (qui hésitent beaucoup à livrer leur ressenti) — comme on peut le constater d’ailleurs dans cette salle ;

La mode des « nouveaux pères » — qui langent les bébés — les amène à produire beaucoup plus d’ocytocine (ce qui les rend plus doux… mais baisse de 33 % leur taux de testostérone !). On assiste ainsi aujourd’hui à une rapide démasculinisation des hommes, sous l’action conjuguée de facteurs biologiques, écologiques, culturels et sociaux. De plus, la pollution chimique, et notamment l’invasion des matières plastiques, stimulent les œstrogènes9. Au total, la production de spermatozoïdes a chuté de moitié en 30 ans !


Rappelons, pour terminer ce trop bref exposé, que :


L'engrammation d'un souvenir (son inscription dans les circuits neuronaux) implique un « préchauffage » du système limbique (notre cerveau profond) par une émotion — d'où l'efficacité des psychothérapies émotionnelles et corporelles ;

Le souvenir d’une scène, qu’elle soit réelle ou imaginaire, présente la même localisation cérébrale et génère les mêmes processus mentaux. En réalité, tout souvenir est partiellement et inconsciemment reconstruit à chacune de ses évocations, cela à partir de désirs ou de craintes — pas toujours conscientes. Cela nous conduit donc à traiter avec grande prudence les souvenirs d’abus sexuels de la première enfance — souvent réveillés par des approches psychocorporelles, autorisant le contact physique : on estime actuellement qu’il y a jusqu’à 40 % de faux souvenirs !


* * * *


Je suis malheureusement obligé d’arrêter là, car l’heure tourne, inexorablement. Je vais donc terminer — comme à la télévision — par une minute de publicité : près de deux cents livres et plusieurs centaines d'articles sont parus sur ce thème des neurosciences, depuis quelques années, et notamment depuis "la décennie du cerveau" (1990-2000).

Comme vous n’avez pas tous le temps — ni le courage — de les lire, je l’ai fait pour vous : j’ai résumé en 40 pages, dans mon petit livre de poche (traduit en 14 langues — dont l’espagnol et l’anglais), intitulé La Gestalt, l’art du contact, 40 000 pages d’études sur le cerveau (soit 200 livres de 200 pages). Chaque page résume donc… 1 000 pages de textes savants, reformulés en langage simple et accessible, et illustrés de métaphores.

Cela vous permettra de poursuivre et digérer cette conférence, à votre propre rythme…

… Et maintenant, l’heure est venue de ma seconde dose de testostérone !…


Serge GINGER

Contact avec l’auteur : E-mail : s.ginger@noos.fr Tél : +331 5368 6458 Fax : +331 5368 6457

Site web : http://www.sergeginger.net/ Tél. mob. : +33 609 762 651


Très brève bibliographie francophone (sélection parmi plus de 200 ouvrages)


Cyrulnik B. (1993) Les nourritures affectives. Paris. Odile Jacob (246 p)

Cyrulnik B. (2006) De chair et d’âme. Paris. Odile Jacob (260 p)

Damasio A. (1995) L'erreur de Descartes. Paris. Odile Jacob (370 p)

Durden-Smith & Desimone (1985) Le sexe et le cerveau. Montréal. éd. La Presse (270 p)

Ginger S. & A. (1987) La Gestalt, une thérapie du contact. Hommes et groupes, Paris (494 p.)

8e édition : 2006 (550 p.). Traduit en 6 langues

Ginger S. (1995) La Gestalt, l’art du contact. Paris. Marabout. 10e éd. 2009 (288 p). Trad. en 14 langues

Ginger S. & A. (1995) Guide pratique du psychothérapeute humaniste, Dunod, Paris (256 p). 2e édit : 2009.

Ginger S. (2006a) Psychothérapie : 100 réponses pour en finir avec les idées reçues, Dunod, Paris (288 p)

Traduit en 3 langues

Ginger S. & A. (2008) Guide pratique du psychothérapeute humaniste, Dunod, Paris (256 p)

Préface de M. Elkaïm. 2e édition : 2009. Traduit en russe.

Jouvet M. (1992) Le sommeil et le rêve. Paris. Odile Jacob (220 p) et coll. Poche Points

Kimura D. (2000) Cerveau d’homme, cerveau de femme ? Paris. Odile Jacob (250 p)

Kolb B. & Whishaw Q. (2008) Cerveau et comportement. Bruxelles, De Boeck (1000 p)

Le Vay S. (1994) Le cerveau a-t-il un sexe ? Paris. Nouvelle Biblioth. scientifique Flammarion (230 p)

Perls F. (2003) Manuel de Gestalt-thérapie, ESF, Paris (128 p) ; 3e édition : 2008.

Rossi E. L. (1994) Psychobiologie de la guérison. Paris. Hommes et perspectives (450 p)

Vidal C. (2005) Cerveau, sexe et pouvoir. Paris, Belin (112 p)

Vincent J.D. (1986) Biologie des passions. Paris. Odile Jacob (352 p)

Vincent J.D. (2007) Voyage extraordinaire au centre du cerveau. Paris. Odile Jacob (460 p)

• Vincent L. (2007) Où est passé l’amour ? Paris. Odile Jacob (204 p)

Zarifian E. (1996) Le prix du bien-être. Paris. Odile Jacob (280 p)


Bibliographie personnelle hispanophone


Ginger S. & A. (1993) La Gestalt, Una terapia de contacto. Manual Moderno, Mexico, DF. (350 p) 8e édit. 2007

Traduit en 6 langues

Ginger S. (2005) Gestalt, el arte del contacto. RBA libros, Barcelona (256 p). Trad. en 14 langues

Ginger S. (2008) Psicoterapia: 100 respuestas creativas. Ridgen inst., Barcelona (256 p). Trad. en 3 langues


Bibliographie personnelle anglophone


Ginger S. (2007) Gestalt Therapy, The Art of Contact. Karnac Books, London (174 p). Trad. en 14 langues

1 Jean Decety, chercheur français, professeur à Chicago.


2 Mais si une brebis accouche sous péridurale, elle se désintéresse de sa progéniture (Michel Odent, 2008) — ce qui n’est pas le cas pour une femme, qui compense cette anesthésie par son intérêt mental.

3 neuromédiateurs de bien-être et d'auto-anesthésie.

4 Magre S. et Vigier B. (2001) Développement et différenciation sexuelle de l’appareil génital, in La reproduction chez les mammifères et l’homme. Paris : Ellipses. L’émergence du mâle débute vers la 7e semaine.

« La forme fondamentale de l’espèce, c’est la femelle » in Durden-Smith J. & Desimone D. (1983). Sex and the Brain.


5 Durdeen (1983) et Le Vay (1994).

6 Cf. une célèbre étude suédoise sur les jumeaux et les travaux de Lykken et Tellegen (Minnesota University).

7 on sait aujourd'hui qu'une excitation sexuelle physiologique précède tout rêve (d'environ 2 minutes), et cela à tout âge, chez les deux sexes, et indépendamment du contenu du rêve lui-même (contrairement à ce que supposait Freud).

8 un rat appuie sur une pédale pour obtenir de la nourriture. Lorsqu’il s’aperçoit que cela déclanche des chocs électriques chez un de ses compagnons de cage, il préfère se priver de nourriture que de faire souffrir son congénère.

9 (Tsutsumi, 2005 ; Welshons, 2006 ; Lucy Vincent, 2007).