31 janv. 2010

Les « Entretiens de l’EPG », janvier 2010


« Transmission, mémoire et héritage »


par Serge Ginger

C’est un grand plaisir pour moi que de retrouver ici tous ces anciens élèves, dont certains sont devenus des collègues — voire des amis — mais aussi tous les « nouveaux » que je ne connais guère encore…


Je vais aborder ce sujet de « la Transmission » sous deux aspects successifs :

  • la transmission au sein de l’EPG : transmission des connaissances, des expériences, du style, des relations…

  • la transmission en général, l’héritage et l’hérédité — notamment du point de vue des recherches actuelles en neurosciences, qui précisent les lois de la sélection naturelle, laquelle permet « le changement dans la continuité » : ni une succession de ruptures, ni la reproduction du même. Je vais développer cette seconde partie1, pour apporter un aspect complémentaire à la brillante conférence d’hier, d’André Chemin.

* * * *

Qu’ai-je « transmis » à l’EPG — ou plutôt, qu’avons-nous transmis, Anne et moi — depuis 30 ans, et lorsque nous avons quitté l’École… et surtout : comment et à qui ? Quelles leçons peut-on en tirer ?

Le point principal que je désire souligner, est qu’une transmission, cela se prépare longtemps à l’avance : plusieurs années en général, et non quelques mois. En fait, à l’EPG, la période de transition a duré… 10 ans : de janvier 1991, où Gonzague a été nommé directeur adjoint du département Gestalt à l’IFEPP, à 2001 — où j’ai animé mon dernier stage et pris effectivement ma retraite, à 73 ans.

Cela s’est fait en plusieurs étapes : d’abord, il nous a fallu trouver un successeur potentiel, le solliciter… et le convaincre ! Parmi les 300 anciens élèves de l’EPG, formés à cette époque, nous en avons présélectionné… 3 ! (soit 1 %) — qui nous semblaient réunir le bouquet de qualités requises : intelligence, compétence et souplesse d’adaptation, créativité, sens du travail en équipe, générosité, et dispositions administratives de gestion. Nous avons entrepris de longues négociations discrètes… et parfois difficiles : l’un d’entre eux devait accepter une importante baisse de son salaire (en échange d’une perspective de large autonomie ultérieure) ; un autre n’acceptait que s’il bénéficiait d’emblée d’une totale liberté, impliquant que nous nous retirions totalement, afin qu’il puisse instaurer « une rupture » et un changement radical de style…

La 2e étape, fut la nomination officielle de Gonzague comme directeur adjoint : il nous assistait tant dans l’animation des formations que dans la gestion administrative et financière, ainsi que dans les relations avec le directeur général de l’IFEPP : Bernard Honoré. Cette étape s’étant montrée rapidement concluante, Gonzague fut nommé directeur du département Gestalt dès l’année suivante, en janvier 92.

C’est là que la situation devint amusante et originale : après avoir été son directeur, je devenais son salarié — à la surprise de beaucoup de collègues ! Mais avec un plaisir personnel certain : j’étais enfin déchargé de la lourde tâche de la gestion administrative (inscriptions, comptabilité, tableaux et statistiques, prévisions et réajustements permanents…), déchargé de toute responsabilité ! Quel sentiment de liberté !

En même temps — à la demande de Gonzague — je pouvais continuer à enseigner et animer des stages de thérapie, et je pouvais aussi faire part, sans réserves, de toutes mes suggestions et avant-projets concernant l’ensemble du fonctionnement de l’EPG. Libre à Gonzague de les accepter, de les refuser… ou de les transformer. Soulagement pour moi, enrichissement pour lui… et pour l’institution ! Je reste encore surpris des multiples « avertissements » de nombreux amis et collègues, soi-disant expérimentés, me déclarant qu’une telle inversion de rôles était « contre nature », et susceptible de poser de gros problèmes… Je ne fais pas de cette expérience une règle générale, mais je tenais à l’évoquer et à en témoigner. Je n’ai eu aucun problème — grâce, notamment, à l’ouverture d’esprit de Gonzague.

La 3e étape, un an plus tard, en janvier 93, fut la nomination de deux adjoints de direction (Brigitte Martel et Xavier Bonnet-Eymard) — qui viennent d’ailleurs, à leur tour, de quitter ces responsabilités, dans des conditions assez similaires : arrêt de leurs responsabilités administratives après une vingtaine d’années, mais poursuite d’une collaboration technique particulièrement appréciée (Cela de vient ainsi une « norme » de départ, transmise dans notre équipe).

La 4e étape fut la déclaration officielle de l’EPG comme association autonome, distincte de l’IFFEP, en 1995, avec « essaimage » provisoire avenue du Général Leclerc, dans un bâtiment en location. Plutôt que d’essaimage, on pourrait parler de « marcottage » (comme vous le savez, le marcottage consiste à multiplier une plante en provoquant un enracinement de certaines branches, alors qu'elle est toujours solidaire du pied mère. Lorsque les racines sont apparues, il suffit de couper le cordon ombilical). Ainsi, notre École a repris racine, sans couper immédiatement son cordon ombilical financier avec la maison mère, l’IFEPP : nous héritions d’un budget et de l’ensemble des dossiers nous concernant. (Cela s’est reproduit d’ailleurs plus tard, lorsque notre antenne de Lille a pris, à son tour, son indépendance).

A propos de marcottage, je voudrais rappeler, au passage, une évidence, trop souvent mal comprise : un arbre n’est pas simplement issu de ses racines ; ce sont les racines qui sont issues de l’arbre ! Chaque jour, elles poussent et s’enracinent en terre, plus largement et plus profondément, équilibrant ainsi le développement permanent de la ramure.

La 5e étape fut l’achat des locaux de l’actuelle EPG, permettant un aménagement progressif, adapté à nos besoins évolutifs.

La 6e étape fut la réalisation de documents de transmission et de mémoire :

en mai 2001, un film, avec trois démonstrations du style spécifique de travail à l’EPG (par Anne, Gonzague et moi-même) : le DVD « Regards singuliers sur la Gestalt-thérapie » (traduit en anglais et en russe, et disponible pour 20 euros, avec une brochure de commentaires).

en novembre 2001, un livre retraçant l’évolution de l’EPG depuis l’origine : « L’EPG, une équipe en marche » (que je mets à votre disposition, gratuitement, aujourd’hui, en guise de transmission).

Enfin, ce fut la 7e et dernière étape : Anne s’est retirée la première de l’enseignement, et moi-même, j’ai suivi bientôt son sage exemple — et l’EPG a célébré notre retraite par une grande fête au Hameau de l’Étoile, en novembre 2001, avec la participation de 140 collègues et anciens élèves. Voilà donc un rapide survol historique…

Ainsi, la transmission s’est faite à travers un départ très progressif, dans une atmosphère de confiance mutuelle, mais aussi dans une créativité permanente : beaucoup de choses ont changé, progressivement : le recrutement, la publicité, la brochure (la « vitrine » de l’EPG), un nouveau site internet, la structure administrative du fichier, le rythme des réunions d’équipe, les interventions en entreprise, la création de la FAP’Art… tout cela a changé graduellement, et bien d’autres choses encore ! Depuis la nuit des temps, chaque génération dépasse la précédente, et mes petits enfants me battent sans vergogne non seulement en natation et à skis, mais aussi dans leur créativité de sites internet.

Mais ce n’est pas fini ! Puisque voici que s’amorce la « succession » suivante, la préparation — attentive et tranquille — de la retraite de Gonzague Masquelier, d’ici moins de deux ans, au profit d’une étape nouvelle : la reprise des responsabilités de direction, qui seront confiées à Isabelle Temperville, assistée de Corinne Fischer. Isabelle a intégré l’équipe de l’EPG il y a cinq ans déjà, et se prépare avec sérieux et enthousiasme à ses futures fonctions.

On a souvent paraphrasé une prophétie attribuée (à tort) à Malraux : « Le 21e siècle sera féminin… ou ne sera pas ! »2. Et en effet, on voit successivement apparaître sur nos écrans : Angela Merkel, Ségolène Royal, Hilary Clinton, Martine Aubry, Christine Lagarde, Michèle Alliot-Marie, Michèle Bachelot (au Chili), Cristina Kirchner (en Argentine)… et tant d’autres !

L’EPG n’aura pas échappé à ce mouvement général…


* * * *

Je vais maintenant aborder la seconde partie de mon exposé et tenter un parallèle avec les lois biologiques de la transmission naturelle et de l’hérédité (forme biologique de l’héritage). En effet, on peut considérer l’EPG comme un « organisme vivant »qui croît et se diversifie, qui essaime comme une ruche ; dont certaines branches poussent, tandis que d’autres se dessèchent, dont les racines s’implantent de plus en plus profondément dans le tissu social environnant.

La transmission implique, bien entendu, le partage délibéré des connaissances (cours, formation, publications) : on peut noter à ce sujet que, sur 78 livres en français, publiés à ce jour sur la Gestalt (dont 15 traductions et 63 livres originaux), 25 livres — soit 40 % — ont été écrits par un membre de l’équipe enseignante de l’EPG.

La transmission des savoirs a pris une échelle exponentielle depuis la numérisation en cours de l’ensemble des ouvrages du monde. Songez que Google a indexé aujourd’hui 1 000 milliards de pages — ce qui représenterait un dictionnaire épais de… 35 000 km, ou 500 millions de « Petits Larousse illustrés » côte à côte, qui feraient le tour du monde ! Nous sommes bien au delà de la vision prémonitoire de Teilhard de Chardin, il y a plus de 50 ans, lorsqu’il avait prédit la « noosphère » des idées, entourant la biosphère, et se répandant instantanément tout autour de la Terre, autant dire le « cyber-espace » d’aujourd’hui ou le téléphone portable…

Ce foisonnement exponentiel, difficile à gérer, implique une sélection impitoyable, une élimination permanente du superflu3, sur le modèle biologique de l’apoptose (suicide cellulaire, génétiquement programmé, en équilibre constant avec la prolifération cellulaire, et indispensable à la survie de l’organisme), apoptose qui évite, entre autres, la prolifération de cellules cancéreuses.

Mais la transmission porte aussi — de manière moins consciente mais plus profonde — sur le domaine émotionnel et pas seulement rationnel : sur l’ambiance, l’atmosphère relationnelle sous-jacente, qui est la marque de la « personnalité », du « style » spécifique, parfois difficile à définir par des mots. On pourrait ainsi envisager une « psychogénéalogie », ou plutôt une « sociogénéalogie » de l’institution.


Je voudrais tout d’abord souligner, à ce propos, la richesse des thérapies à médiation corporelle (comme l’est notre style spécifique de Gestalt).

Nous allons voir pourquoi ce type de psychothérapie s’avère à la fois plus profond, plus rapide et plus efficace que les psychothérapies essentiellement verbales, comme la psychanalyse, l’analyse transactionnelle traditionnelle, ou la PNL…


En effet, tout contact ou mouvement du corps mobilise l’hémisphère droit du cerveau, lequel est directement relié aux zones limbiques profondes du cerveau émotionnel — par « la voie perforante » — une liaison synaptique originale qui n’a pas son équivalent dans le cerveau gauche, verbal et rationnel.

Toute émotion est accompagnée de production de neurotransmetteurs spécifiques (on en connaît aujourd’hui plusieurs dizaines) qui modulent l’humeur et la pensée. La plupart de ces neurotransmetteurs circulent à l’intérieur du cerveau et du corps de chacun… mais certains d’entre eux diffusent dans l’environnement de l’organisme, à travers notre « frontière-contact » et touchent ainsi l’interlocuteur qui se trouve à proximité, notamment le psychothérapeute : je veux parler des fameuses phéromones — qui constituent notre réel « 6e sens », le sens chimique, un des éléments de ce qu’on appelle souvent l’intuition.

Notre 6e organe des sens, l’OVN (l’organe voméro-nasal) est invisible à l’œil nu et situé dans la profondeur du nez ; il est chargé de capter ces phéromones (qui traduisent notre humeur profonde) ; il est totalement distinct des voies olfactives, n’a aucune odeur, et n’a aucune liaison directe avec les zones corticales de notre cerveau conscient. Ses informations sont donc totalement inconscientes et modulent directement notre sensibilité profonde, non verbalisable. C’est ainsi qu’on éprouve parfois une sympathie spontanée envers une personne, tandis qu’il y en a d’autres que l’on « ne peut pas sentir » — sans trop savoir pourquoi !

Laissez-moi évoquer aussi le rôle et l’importance de la verbalisation a posteriori des affects ressentis, qui seule permet l’enregistrement, l’encodage ou « l’engrammation » cérébrale des expériences vécues, et donc leur exploitation ultérieure. C’est un peu comme lorsque nous avons terminé un travail sur l’écran de notre ordinateur : pour en conserver la trace et pouvoir le retrouver et le poursuivre, il est indispensable de donner un titre verbal au document. Le titrage n’est pas le travail, mais un simple repère — cependant absolument nécessaire pour toute transmission. De même, le travail verbal n’est pas — en soi — un travail thérapeutique, mais un repérage.

Bien entendu, la parole peut déclencher une émotion, et donc des modifications neuronales (poussée de dendrites, nouvelles liaisons synaptiques, production de neurotransmetteurs ou hormones…). Dans ce cas, on peut dire que « Le Verbe s’est fait chair » : la parole s’est incarnée et a produit un effet, potentiellement durable. Mais la plupart du temps, dans l’expérience quotidienne, le processus est inverse : l’émotion vient d’abord, spontanément ; elle n’est conscientisée et verbalisée que dans l’après-coup.

En fait, dans notre comportement, tout est circulaire et systémique et les interrelations biologiques, psychologiques et sociales sont permanentes, et fonctionnent dans les deux sens : l’appétit me fait saliver… et la salive aiguise mon appétit ; une caresse ou un massage stimule la production d’ocytocine et l’ocytocine développe mon besoin d’attachement, de tendresse, de compréhension, de confiance et d’amour.

On pourrait en dire autant des divers niveaux de fonctionnement de l’EPG : ses structures matérielles (locaux, équipements…), ses relations humaines et psychologiques, sa place sociale dans le petit monde de la Gestalt, et le monde plus large de la psychothérapie, en général. Tout y est en interrelations circulaires et parfois subtiles.


* * * *

Freud lui-même écrivait, dès 1920 :

« La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées ; nous devons nous attendre à recevoir d'elle les lumières les plus surprenantes, et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s'agit peut-être de réponses, telles qu'elles feront s'écrouler tout l'édifice artificiel de nos hypothèses (psychanalytiques) ! » — voilà ce qu’écrivait Freud, en 1920 !


« Quelques décennies » ont passé : où en sommes-nous aujourd'hui ?

Aujourd’hui, nous assistons au développement progressif de nouvelles disciplines… notamment aux États-Unis, mais aussi, peu à peu, en France : la neuropsychanalyse et les neurosciences sociales4.

Je vais maintenant entrer un peu plus dans le détail de quelques recherches contemporaines, utilisant notamment les ressources de l’IRM (résonance magnétique), qui permet de voir au scanner l’activité des différentes zones du cerveau, en temps réel, et je vais citer quelques exemples concrets, illustrant l’intérêt de l’étude des neurosciences pour une exploitation optimale des mécanismes de transmission et des techniques psychothéra­peutiques.

Ces recherches ont révélé de nombreux aspects du fonctionnement du cerveau qui étaient peu connus auparavant, bien que souvent pressentis intuitivement par plusieurs précurseurs, tels que Freud, Ferenczi, Reich ou Perls — qui propose une approche globale, intégrant les cinq dimensions principales de l’être humain : physique, émotionnelle, cognitive, sociale et spirituelle.


J’évoquerai, par exemple, le fait que la myélinisation (l’isolation des neurones) des circuits de liaison orbitaux-frontaux — notre « cerveau social » qui permet l’intégration des informations sur l’état interne de l’organisme et sur son environnement, et donc une prise de décision adaptée — n’est terminée, en moyenne, qu’aux environs de 25 ans, contrairement à ce que l’on supposait. Cela explique les comportements parfois impulsifs des adolescents, dont les émotions (limbiques) ne sont pas suffisamment contrôlées par le niveau corticofrontal (conscient et volontaire).

On rencontre le même type d’immaturité ou de dysfonctionnement neuronal chez les autistes, et même chez les personnalités limites (borderline) : leur amygdale est hypersensible à tout stress, tandis que leurs liaisons frontales sont, au contraire, inhibées — ne permettant pas une gestion saine de l’humeur et des passages à l’acte. On constate aussi chez eux une déficience des « neurones miroirs » — dont je n’ai pas le temps de parler aujourd’hui.

Un travail psychocorporel, mobilisant directement les structures limbiques sous-corticales, s’avère donc particulièrement efficace, notamment avec ces catégories de clients (adolescents et borderlines).


Les récents travaux des neurosciences permettent de réaliser qu’en fait, tout apprentissage — ou toute psychothérapie — agit directement sur les circuits synaptiques, et modifie la biochimie interne du cerveau, la production des hormones et des neurotransmetteurs (par exemple, la dopamine, la sérotonine, la noradrénaline, les endorphines ; la testostérone, les œstrogènes…). Cela est particulièrement vrai pour les psychothérapies à médiation corporelle ou émotionnelle — comme la Gestalt-thérapie…  sous réserve, comme je viens de l’évoquer, qu’elles soient suivies par un temps d’intégration verbale — faute de quoi, l’activation intempestive d’émotions, ou une forte catharsis « sauvage », favorisée par des techniques maladroites de « debriefing », risque au contraire de maintenir, voire même de renforcer, les séquelles de traumatismes antérieurs, par un conditionnement neuronal négatif. La simple évocation verbale ou le revécu d’un traumatisme ne sont, pas à eux seuls, thérapeutiques…


Trois étapes historiques

Il y a quelques années encore, on opposait volontiers la chimiothérapie et la psychothérapie : les psychiatres traditionnels souriaient avec condescendance devant les affirmations des psychanalystes et des psychothérapeutes, et considéraient leurs méthodes comme des « distractions mondaines à la mode » ; ils ne faisaient confiance qu'aux médicaments, dûment contrôlés par les laboratoires, après des tests en « double-aveugle », les comparant à des placebos.

Après la révolution des antibiotiques en médecine infectieuse, vint la révolution des neuroleptiques en médecine mentale : enfin, on met au point une série de molécules qui agissent directement au niveau du cerveau et modifient le comportement (tranquillisants, antidépresseurs, stimulants, antidélirants ou neuroleptiques). En 1952, Henri Laborit introduit un nouveau produit psychotrope : le largactil, qui permet la suppression progressive de la camisole de force dans les hôpitaux psychiatriques, la remplaçant par ce qu'on a appelé (non sans quelque exagération) « la camisole chimique ».

On sait que la France détient le triste record du monde d'utilisation des psychotropes (on en consomme 3 fois plus que nos pays voisins : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie ou l’Espagne). Ces médicaments, pour efficaces qu'ils soient, ne sont pas dénués d'effets secondaires regrettables : somnolence, trous de mémoire, baisse sensible de la libido… voire même suicide — notamment en cas d'interruption inopinée d'un traitement chez un jeune (dont les circuits frontaux de contrôle sont encore immatures).


Dans un second temps, au lieu d'opposer chimiothérapie et psychothérapie, on les a associées : la psychothérapie permet en effet, de prolonger et d'élargir l'effet d'un traitement médicamenteux et d'en diminuer progressivement le dosage ; tandis qu'à l'inverse, la chimiothérapie permet de préparer, d’accompagner ou de prolonger une approche psycholo­gique, en apaisant l'angoisse ou en coupant le délire.

Mais voici que nous entrons aujourd’hui dans une troisième phase : non plus opposition, ni simple complémentarité, mais identité d'un processus à deux faces : on prend conscience que, finalement, certaines psychothérapies sont des chimiothérapies qui s'ignorent. En effet, leur action entraîne des modifications neurophysiologiques et biochimiques, à la fois rapides et durables ; avec l'avantage majeur qu'elles sont strictement personnalisées et dosées spontanément par l'organisme — et cela, parfois au milliardième de gramme près, tout comme notre organisme surveille sans cesse le taux du sucre dans le sang, celui des vitamines ou des Oméga 3, ou encore du fer ou du zinc (sans lequel nous n'aurions pas d'odorat).


Une biochimie subtile et personnalisée

Ainsi, par exemple, une injection d'un milliardième de gramme d'ocytocine (l’hormone qui fait jaillir le lait, et qu’on a baptisée l’hormone de l’attachement — voire de l’amour) suffit à induire aussitôt un comportement maternel chez une femelle vierge (rate ou brebis)5. On sait aujourd’hui que cette ocytocine est produite non seulement lors de l’accouchement, mais aussi à chaque contact physique, et notamment pendant un travail psychocorporel, un massage, pendant la caresse d’un bébé, ou encore à l’occasion d’une relation amoureuse.

Aucune administration d’un médicament externe ne peut prétendre s'adapter aux variations subtiles et permanentes des dosages hormonaux de chaque patient : chaque repas, mais aussi chaque émotion, modifie cet équilibre. Rappelons, à titre d'exemple, que tout succès (amoureux, sportif, social ou intellectuel) peut doubler instantanément le taux de testostérone dans le sang ; quant à un orgasme, il multiplie par quatre le taux de la testostérone et des endorphines6 ! Cette poussée subite de testostérone explique le comportement — somme toute surprenant — des joueurs de football qui viennent de marquer un but, et qui se « sautent » dessus, dans un élan érotique spontané ; où encore, celui des vainqueurs de Formule 1 automobile qui, dans leur excitation sexuelle, ouvrent une bouteille de Champagne… pour « l’éjaculer », au lieu de la boire !

Rappelons-nous que la même testostérone gère à la fois l'agressivité, mais aussi le désir sexuel — y compris, chez la femme. C’est donc l’hormone de la conquête, aux deux sens du terme (conquête amoureuse et conquête militaire). Ces deux pulsions fondamentales de vie (survie de l'individu et survie de l'espèce) sont en fait très liées ; elles se côtoient d’ailleurs dans l'hypothalamus, séparées simplement par une zone de quelques millimètres… entre la zone de l’agressivité et celle de la sexualité : la zone de gestion du plaisir ! En Gestalt-thérapie, on utilise parfois cette proximité : par exemple, pour développer une sexualité défaillante, à travers l'agressivité ludique — laquelle est plus facile à gérer dans le respect de la déontologie !


Et maintenant, deux petites expériences

Au fait, nous pouvons de suite faire un peu de pratique… et vous pouvez faire monter mon taux de testostérone !…

(silence… en attendant des applaudissements)… Merci !

A mon tour, maintenant, de vous proposer une auto-injection — indolore, rassurez-vous — de dopamine (silence)… Voilà qui est fait ! Mon silence, imprévu, a stimulé votre curiosité, et pendant cette fraction de seconde d’attente et de surprise, vous avez fabriqué de la dopamine, le neurotransmetteur de l’éveil, de la vigilance et de l’awareness.

Mais il est temps maintenant que nous nous calmions !… De fait, je viens de vous faire une nouvelle piqûre ; mais cette fois-ci, c’était de la sérotonine, le neurotransmetteur de remise en ordre, induit par les explications rationnelles que je suis en train de proposer.

En somme, on conduit un entretien thérapeutique comme on conduit une voiture : en jouant sans cesse sur les pédales d’accélérateur et de frein (la dopamine et la sérotonine) !

On a isolé aujourd'hui plusieurs dizaines de ces neurotransmetteurs. Ainsi par exemple, tout désir (la faim, la soif, le sexe, la curiosité) et tout plaisir (même artistique ou intellectuel) est corrélé à au moins trois neurotransmetteurs, en interférence :

• la dopamine, associée à la tension du désir ;

• la noradrénaline, liée à l'excitation du plaisir partagé ;

• les endorphines, entraînant le bien-être et le repos.


Deux prises de sang, espacées de quelques minutes de rêveries optimistes (visualisation positive), permettent de constater une élévation moyenne de… 53 % du système immunitaire !


On a pu filmer récemment, par diverses techniques d'imagerie cérébrale, des modifications — visibles et durables — de circuits neuronaux, par stimulation répétée du buissonnement neuronal (le « sprouting »), provoqué par une psychothérapie chez des malades atteints de TOC (troubles obsessionnels compulsifs).

Chimiothérapie et psychothérapie ne sont donc pas concurrentes mais complémen­taires, voire interchangeables.

La matière agit sur l’esprit et l’esprit agit sur la matière.


(… Et maintenant, il me reste 20 minutes pour dire quelques mots sur trois thèmes :)

l’hérédité et l’acquis — c’est-à-dire la transmission ;

la neurophysiologie du rêve — qui permet aussi la transmission inconsciente ;

• le sexe et le cerveau.


Hérédité et acquis (génétique et plasticité)

Il s’agit de l’éternel faux problème de l’inné et de l’acquis — qui nous concerne directement, nous autres psychothérapeutes : à quoi bon s’évertuer à développer des aptitudes ou modifier des comportements ou des ressentis, si tout est prédéterminé par nos dispositions héréditaires ? Malgré toutes les idéologies démocratiques, il n’est pas contestable que nous ne naissons pas égaux : il y a des grands et des petits, des blonds et des bruns, des Noirs et des Blancs, tout comme il y a des personnes plus intelligentes et d’autres moins douées, que ce soit pour les mathématiques, pour le sport ou la musique.

Alors, tout serait-il joué à la naissance ?

Heureusement, non ! Nous ne sommes ni prisonniers de nos gènes, ni entièrement libres pour autant !

De même, une institution comme l’EPG, n’est ni prisonnière de son passé, ni entièrement libre de son avenir.


En chiffres très arrondis, les chercheurs considèrent aujourd’hui que notre caractère peut se répartir en trois tiers environ. Il apparaît :

• pour 1/3 héréditaire : lié aux chromosomes du noyau de la cellule (notre ADN) ;

pour 1/3 acquis : lié au bain culturel, à l’éducation, l’exercice ou l’entraînement, aux circonstances fortuites de la vie… ou à la psychothérapie ;

pour 1/3 congénital, c’est-à-dire acquis pendant la vie intra-utérine ; ainsi, par exemple, l’embryon est féminin pendant les premiers jours7, et la masculinité est une lente conquête, hormonale, puis éducative et sociale. En réalité, la fille n’est pas un garçon qui a perdu son pénis (comme le supposait Freud), mais le garçon est une fille qui a gagné un pénis. (« L’envie de pénis » est une hypothèse non vérifiée par l’expérience : ainsi, chez les transsexuels, on trouve aujourd’hui… cinq fois plus d’hommes désirant devenir une femme, que de femmes voulant devenir un homme !).


Les parts héréditaire et congénitale semblent donc importantes : ainsi, par exemple, chez les vrais jumeaux garçons (homozygotes), si l’un est homosexuel, l’autre l’est aussi dans 60 % des cas ; chez les faux jumeaux (hétérozygotes), on ne le constate que dans 30 % des cas, soit deux fois moins souvent (mais cependant 5 fois plus que dans la population générale) car ils ont partagé la même vie intra-utérine.

Pour de nombreuses aptitudes ou prédispositions — telles que l’intelligence, le don pour la musique, le sport, et même l’optimisme8 — on retrouve ces trois tiers (héréditaire, acquis in utero, acquis pendant la vie), dans des proportions légèrement variables. Ainsi face à un même événement, chacun voit « le verre à moitié vide ou à moitié plein »…

De toute façon, il ne s’agit que de prédispositions qui peuvent être soit développées, soit inhibées par l’éducation ou par la psychothérapie — lesquelles favorisent ou neutralisent l’expression des gènes sous forme de protéines (comme l’a démontré Eric Kandel — professeur à l’université de New York, qui poursuit ses recherches à 80 ans… (tout comme moi !) — et qui vient d’obtenir, lui, le Prix Nobel, en l’an 2000). L’hérédité n’est donc pas une « fatalité » !

On sait que l’hérédité, à court terme, des caractères acquis demeure contestée par les recherches scientifiques : si l’on coupe la queue d’une chatte, elle donnera naissance à des petits chatons pourvus d’une queue normale… et si j’ai appris le latin ou la Gestalt, mes enfants n’en hériterons malheureusement pas à leur naissance ! (On compte de l’ordre de 50 générations (soit mille ans) pour qu’une mutation fixe une caractéristique acquise).

Il convient de noter, au passage, qu’un accroissement de 20 % seulement transformerait un homme normal (1,85 m) en géant (2,20 m), ou encore un bon coureur, en véritable champion. La psychothérapie peut, de même, transformer un gros dépressif… en dépressif léger !… voire même en homme heureux !

Cette plasticité fondamentale du cerveau se maintient tout au long de la vie, jusqu’à un âge avancé : ainsi, on vient encore de confirmer récemment par des techniques d’imagerie cérébrale que la surface du cortex représentant la main gauche s’élargit régulièrement chez les violonistes, pendant que les aires d’orientation spatiale vont jusqu’à doubler chez les chauffeurs de taxi londoniens (Londres est célèbre pour la complexité de son trafic).

Parmi les thérapies émergentes, l’EMDR exploite directement cette plasticité, en modi­fiant rapidement certaines liaisons neuronales, ainsi que la production de neurotransmetteurs.


Neurophysiologie du rêve

Puisque nous évoquons, avec l’EMDR, le mouvement rapide des yeux (REM) qui caractérise le sommeil paradoxal (ou rêve), jetons un rapide coup d’œil, au passage, sur la neurophysiologie du rêve — dont vous verrez qu’il participe à la transmission des savoirs et des expériences.

L’approche psychanalytique freudienne du rêve a dominé entre les années 1900 et 1960 ; mais il n'en est plus de même aujourd'hui — notamment à la suite des travaux du Français Michel Jouvet.

On sait aujourd'hui que Freud s’était partiellement trompé : le fœtus commence à rêver in utero, dès le 7e mois de la grossesse — donc, bien avant d'avoir des souvenirs conscients à refouler, « censurés » par le Surmoi, selon l’hypothèse périmée de Freud — et le nouveau-né continue de construire ainsi son cerveau pendant 60 % de son temps. La femme enceinte double d'ailleurs son temps de rêve pour « accompagner » la neurogenèse de son enfant. Il n'est pas exclu qu'une partie de ces rêves permette la transmission inconsciente de son vécu émotionnel, grâce à un enregistrement précoce durant les longues périodes de rêves partagés (Ginger, 1987).

Non seulement le fœtus, mais tous les animaux supérieurs rêvent. Les animaux à sang froid (poissons, reptiles) ne rêvent jamais, mais leur système nerveux se régénère tout au long de leur vie (c’est la neurogenèse permanente), renouvelant les neurones, tout comme les autres cellules plus « vulgaires » de leur organisme. Ainsi, ils en sont réduits aux instincts innés, mais ne peuvent acquérir ou conserver des apprentissages complexes ou des réflexes conditionnés.

Pendant le rêve, l'animal est particulièrement vulnérable : il est provisoirement aveugle, presque sourd et paralysé. Quoi d'étonnant alors que le rêve implique tout d'abord un sentiment de sécurité. Ainsi, les vaches rêvent jusqu'à trois fois plus à l'étable que dans les prés ! Et les grands carnassiers, sûrs d'eux-mêmes, se permettent de rêver durant 40 % de leur temps de sommeil, tandis que les pauvres animaux pourchassés n'osent y consacrer que 5 % de leur temps !

L'homme (et la femme) rêve, en moyenne, pendant 20 % de son temps de sommeil (ce qui nous situe donc entre les prédateurs et les victimes !), soit environ 100 minutes chaque nuit — cela, qu'on s'en souvienne ou pas. On sait que tout le monde rêve… mais huit minutes après le réveil, 95 % du contenu des rêves a déjà été oublié !

Le rêve est aussi différent du sommeil que de l'éveil, et il implique une grande activité du cerveau : pendant le rêve, on consomme autant de glucose que pendant l'éveil… ce qui explique qu'on maigrit en rêvant (autant qu’en pratiquant le jogging) ! En fait, les 2/3 du cerveau droit sont mobilisés, au niveau hypothalamique (besoins), limbique (émotions et mémoire), cortical (images) et frontal (synthèse, projets, visions) — pendant que la communication avec le cerveau gauche (analyse verbale rationnelle et critique logique) est coupée. En revanche, la communication entre les deux hémisphères, par le corps calleux, subsiste pendant le sommeil sans rêve.

On a baptisé le rêve « le cordon ombilical de l’espèce » : il transmet, en effet, les compor­tements fondamentaux nécessaires à la survie. Mais, il les enrichit et les met à jour par l’enregis­trement des acquis de l’expérience, permettant ainsi « l’individuation » et la construction de la personnalité — somme de l’inné et de l’acquis.

C’est donc pendant le rêve que se fixeraient nos souvenirs sur le « disque dur » de notre mémoire à long terme — non seulement les informations que je suis en train de vous donner maintenant — mais surtout les souvenirs chargés d'émotions, les expériences importantes, positives ou négatives, de notre vie… et notamment les séances de thérapie.

Un rat privé de rêve perd une grande partie de ses facultés d'apprentissage. Il en est de même, des patients soumis pendant de longues périodes à des traitements neuroleptiques ou antidépresseurs — qui diminuent, voire suppriment, les temps de rêve. Une privation prolongée de rêves favorise souvent l'apparition de délires compensatoires, à caractère agressif ou sexuel9, ainsi que de tendances boulimiques.

Ainsi, le rêve remplirait deux fonctions opposées mais complémentaires :

en tant que « cordon ombilical de l'espèce », il nous nourrit de notre origine, révise chaque nuit notre programme génétique et valorise les fonctions de survie (agressivité et sexualité) : les chats rêvent de chasse et d'attaque, tandis que les souris rêvent de fuite et de petits trous !… Et les hommes (comme les femmes), rêvent de sexualité. Le rêve joue ainsi un rôle de « rempart contre la culture » — puisque notre éducation, elle, s'oppose souvent à ces deux pulsions de vie ;

mais le rêve serait parallèlement un important facteur d'individuation (ce qui me différencie de mon voisin), par la prise en compte de mon expérience originale.

En résumé, le rêve permet l'intégration de ma mémoire individuelle à notre mémoire collective, assurant ainsi une fonction essentielle de synthèse de l'acquis et de l'inné.

Dans une institution, il importe aussi que soient prévus des temps de « rêveries » partagées, de projets — réalistes ou non — à court ou moyen terme : ne pas rester « englués » dans la répétition des habitudes passées ; mais ne pas s’évader pour autant dans un délire totalement irréaliste. Les projets doivent aussi permettre la synthèse de l’expérience passée et d’un futur souhaité, le passage de la prospective (extrapolation de la situation actuelle) à la futurologie (construction de différents scénarios possibles du futur).


Pour terminer ce rapide panorama : le cerveau et le sexe

Les neurosciences sociales ont souligné que la sélection naturelle a « sculpté » progres­sivement notre génome, afin qu’il soit sensible au contact et aux relations avec nos proches. L’empathie existe déjà chez les mammifères : le rat est prédisposé dès la naissance à ressentir la détresse de ses voisins, et il module son com­portement pour épargner ses congénères, notamment grâce à ses neurones miroirs (G. Rizzolatti) — que j‘ai rapidement évoqués tout à l’heure10. Cette attention à l’autre est d’ailleurs développée davantage chez la femelle.

Vous savez sans doute qu’on a pu montrer que l’homme et le singe possèdent un patrimoine génétique de base, commun à 98 % ; ce qui laisse 2 % de différence seule­ment… contre environ 5 % de différence génétique entre l’homme et la femme. Ainsi, un homme mâle est physiologi­quement plus proche d’un singe mâle que d’une femme !…

(Et, bien entendu, les femmes s’avèrent proches des guenons !).

La plupart des chercheurs en neurosciences sont d’accord aujourd’hui pour considérer que :

Le cerveau gauche (celui qui est logique, scientifique et surtout verbal) est plus développé chez les femmes, de même que l’hippocampe (qui permet la mémorisation) ;

Et le cerveau droit (analogique, artistique et émotionnel) est plus développé chez les hommes — cela contrairement à ce que pense encore le grand public (voire même certains thérapeutes ici présents !), et cela sous l’influence directe de la testostérone. De même l’amygdale des hommes est plus importante et plus réactive aux émotions fortes, comme la colère ou la peur.

L’hémisphère droit gère l’espace, l’ici et maintenant et l’inclusion au groupe — souvent valorisés dans les thérapies psychocorporelles ; tandis que l’hémisphère gauche gère le temps et la verbalisation.

Ainsi, la femme est plus portée sur le partage verbal, la communication, la collabo­ration et l’empathie, tandis que l’homme est centré sur l’action et la compétition. Cela n’est, bien sûr, valable que sur le plan statistique, car il y a des exceptions. Il existe évidemment des femmes grandes et des hommes petits… mais ce n’est pas une réalité générale ! Ces différences sont liées à la fois à la culture sociale et à la biologie, et se sont élaborées peu à peu, tout au long de deux millions d’années de sélection naturelle, depuis que l’homme préhistorique courait, en silence, à la chasse et à la guerre, tandis que les femmes restaient à la caverne éduquer les petits et bavarder avec eux, en se livrant à quelques cueillettes sur place !

À l’âge de 9 ans, les filles présentent, en moyenne, 18 mois d’avance verbale sur les garçons. À l’âge adulte, les femmes téléphonent en moyenne, 20 min par appel… contre 6 min pour les hommes. La femme a besoin de partager ses idées, ses sentiments, ses émotions, son état d’âme, tandis que l’homme contrôle et retient les siens : il transmet des informations et cherche rapidement des solutions… et la femme ne se sent pas « écoutée » !

En résumé, la femme est moins émotive que l’homme, mais elle exprime davantage chacune de ses émotions, alors que l’homme est, en réalité plus émotif, mais il n’exprime pas ses émotions — ce qu’il importe de ne jamais perdre de vue, tant dans la vie conjugale qu’en psychothérapie !

• Soulignons encore que le nombre de femmes qui consultent (et aussi qui offrent leurs services en psychothérapie) est environ 3 fois supérieur à celui des hommes (qui hésitent beaucoup à livrer leur ressenti) ;

La mode des « nouveaux pères » — qui langent les bébés — les amène à produire beaucoup plus d’ocytocine (ce qui les rend plus doux… mais contribue à une baisse de 33 % leur taux de testostérone !). On assiste aujourd’hui à une rapide démasculinisation des hommes, sous l’action conjuguée de facteurs biologiques, écologiques, culturels et sociaux. De plus, la pollution chimique, et notamment l’invasion des matières plastiques, des résidus de la pilule et des pesticides, stimulent les œstrogènes11. Au total, la production de spermatozoïdes a chuté de moitié en 30 ans !


Avant de finir, je voudrais souligner deux points :

Le souvenir d’une scène, qu’elle soit réelle ou imaginaire, présente la même localisation cérébrale et génère les mêmes processus mentaux. En réalité, tout souvenir est partiellement et inconsciemment reconstruit à chacune de ses évocations, cela à partir d’éléments disparates, de désirs ou de craintes — pas toujours conscients. Cela nous conduit donc notamment à traiter avec grande prudence les souvenirs d’abus sexuels de la première enfance — souvent réveillés par des approches psychocorporelles, autorisant le contact physique : on estime actuellement qu’il y a jusqu’à 40 % de faux souvenirs ! Il reste cependant 60 % de souvenirs vrais — qu’il serait dommage de négliger !

Toute transmission implique un équilibre dynamique entre assimilation et élimination, dont le prototype biologique est notre intestin grêle, qui filtre, retient ou rejette, à chaque instant, à travers sa surface poreuse (qui représente, dépliée, 600 m2 — soit l’équivalent de plus de deux terrains de tennis) ce qui nous est utile du monde extérieur et que nous venons d’incorporer.

La transmission est donc un processus actif de choix, assumé par notre « fonction moi » physiologique, pour nourrir notre « fonction personnalité ».

« Transmettre » n’est pas remettre automatiquement quelque chose à quelqu’un d’autre, mais bien « transformer » dans un ajustement créatif permanent.


* * * *


… Et maintenant, l’heure est venue de ma seconde dose de testostérone !…

s.ginger@noos.fr

www.sergeginger.net/


1 Habituellement, je développe ce cours en une trentaine d’heures, à la Sigmund Freud University (SFU) de Paris.…

2 Malraux n’a pas davantage écrit « Le 21e siècle sera religieux (ou spirituel) ou ne sera pas ! ».

3 Rappelons, pour mémoire, que les archives sont généralement détruites à chaque changement de ministre.

4 Jean Decety, chercheur français, professeur à Chicago.


5 Mais si une brebis accouche sous péridurale, elle se désintéresse de sa progéniture (Michel Odent, 2008) — ce qui n’est pas le cas pour une femme — qui compense cette anesthésie par son investissement mental et affectif pendant toute la grossesse (un nouvel exemple des liens psyché-soma).

6 neuromédiateurs de bien-être et d'auto-anesthésie.

7 Magre S. et Vigier B. (2001) Développement et différenciation sexuelle de l’appareil génital, in La reproduction chez les mammifères et l’homme. Paris : Ellipses. L’émergence du mâle débute vers la 7e semaine.

« La forme fondamentale de l’espèce, c’est la femelle » in Durden-Smith J. & Desimone D. (1983). Sex and the Brain.


8 Cf. une célèbre étude suédoise sur les jumeaux, et les travaux de Lykken et Tellegen (Minnesota University).

9 on sait aujourd'hui qu'une excitation sexuelle physiologique précède tout rêve (d'environ 2 minutes), et cela à tout âge, chez les deux sexes, et indépendamment du contenu du rêve lui-même (contrairement à ce que supposait Freud).

10 un rat appuie sur une pédale pour obtenir de la nourriture. Lorsqu’il s’aperçoit que cela déclenche des chocs électriques chez un de ses compagnons de cage, il préfère se priver de nourriture que de faire souffrir son congénère.

11 (Tsutsumi, 2005 ; Welshons, 2006 ; Lucy Vincent, 2007).