Ginger. EMDR : thérapie intégrative, 2e Séminaire
universitaire. Metz, nov. 2010 Page 1 sur
8
par Serge Ginger 1 Deuxième
séminaire universitaire de recherche EMDR
Metz,
25-26 novembre 2010
Introduction
Je me suis longuement formé, notamment, à la psychanalyse, au
psychodrame, à la Gestalt-thérapie et à l’EMDR et je me suis
initié à plusieurs autres approches psychothérapeutiques. Je
pratique la Gestalt-thérapie depuis plus de trente cinq ans
(je l’ai introduite en France au début des années 70) ; je la
pratique en séances individuelles, en thérapie de couples et en
groupes continus thérapeutiques. Je développe une variante
intégrant les dimensions corporelles et émotionnelles, et je
me suis intéressé de près aux phénomènes psychobiologiques et
neurophysiologiques concomitants, analysés par les recherches des
neurosciences contemporaines.
J’ai d’ailleurs détaillé ces aspects – insuffisamment
explicités dans la littérature gestaltiste traditionnelle – dans
deux ouvrages, traduits aujourd’hui en une quinzaine de langues.
Dès 1985, j’ai présenté aux États-Unis une conférence sur le
thème : « Is Gestalt Therapy "Chemotherapy"
Without Knowing It? »2
– où je développais l’idée que la Gestalt entraînait de
rapides modifications biochimiques du fonctionnement du cerveau
(nouvelles liaisons synaptiques et modifications des
neurotransmetteurs), expliquant en partie son efficacité rapide.
Lorsque j’aperçus, par hasard, au cours de l’un de mes
déplacements aux USA, l’ouvrage de Francine Shapiro : (Eye
Movement Desensitization and Reprocessing, Basic Principles,
Protocols, ansd Procedures, 1995) qui
venait de paraître, je l’achetai donc sans hésiter, et je le
parcourus avidement le soir même.
Au moment où une formation sérieuse à l’EMDR s’est mise en
place en France avec le Pr David Servan-Schreiber, je me suis donc
formé tout naturellement, en janvier 2003, à cette approche
nouvelle – qui prenait délibérément en compte l’activité
cérébrale (même si elle n’a pas encore réussi à l’analyser
de manière scientifique explicite).
Aujourd’hui, il m’arrive fréquemment d’introduire une série
de sessions d’EMDR dans le suivi d’un client – notamment
lorsqu’émerge dans l’anamnèse un traumatisme psychologique
majeur : décès, suicide ou accident grave d’un proche (ou du
client lui-même), agression, attentat, viol, annonce d’une maladie
grave, séparation brutale, etc., ou – inversement – il m’arrive
de prendre des clients en EMDR, puis de poursuivre et d’élargir
éventuellement la psychothérapie, en Gestalt.
Je ne m’attarderai pas sur la description de la Gestalt-thérapie,
puisqu’il s’agit d’une méthode maintenant largement connue –
bien que les styles en soient assez variés. J’ai, pour ma part,
développé une approche holistique prenant en compte les cinq
dimensions principales de l’être (physique, émotionnelle,
cognitive, sociale et spirituelle). Je voudrais signaler, au passage,
que la Gestalt-thérapie est devenue aujourd’hui l’une des
méthodes les plus pratiquées au monde ; ainsi, en France, elle
a conquis aujourd’hui le 2e rang,
après la psychanalyse, et bien avant les TCC (thérapies
cognitivo-comportementales), les thérapies familiales et les autres
thérapies humanistes.
Je vais donc partager avec vous quelques réflexions sur une telle
pratique combinée, intégrant ces deux approches et montrer,
d’une manière plus générale, en quoi l’EMDR peut être
considérée comme une approche intégrative, associant
plusieurs courants devenus traditionnels de la psychothérapie, tels
que, par exemple : la psychanalyse, la Gestalt-thérapie, les
TCC, la thérapie familiale, l’hypnose, l’analyse
transactionnelle, etc.
EMDR… ou SBA
EMDR sont les initiales de Eye Movement
Desensitization and Reprocessing, mais en réalité, il
serait sans doute moins limitatif de parler aujourd’hui de
« Stimulation Bilatérale Alternée » (SBA),
puisqu’on peut, le cas échéant, remplacer (ou compléter) les
mouvements oculaires par des stimulations auditives (alternées
devant les deux oreilles) ou kinesthésiques : tapping
(ou tapotements) sur les mains, les genoux, les épaules.
On peut même avoir recours à des stimulations spontanées de la
plante des pieds, telles que celles provoquées par un banal
jogging : ce dernier favoriserait les liaisons
synaptiques, harmonisant l’hémisphère gauche (rationnel et
analytique) avec l’hémisphère droit (émotionnel et
synthétique), ainsi que le niveau cortical et cortico-frontal
d’intégration et de décision, avec le niveau limbique
profond du cerveau émotionnel. Cela pourrait expliquer son
effet stimulant pour la réflexion et la synthèse, qui
s’ajouterait à son effet apaisant lié à la production
d’endorphines… ainsi que semblent l’avoir intuitivement compris
certains de nos dirigeants politiques !
Poursuite oculaire
Cependant, plusieurs études ont montré une efficacité nettement
supérieure des mouvements oculaires (MO) sur le tapping
(Lee et Drummond, Australie, 2007). C’est aussi mon expérience
clinique personnelle. On peut donc s’interroger sur la spécificité
des MO.
On sait que pendant chaque phase de « sommeil paradoxal »
(phases de rêves), les yeux sont animés de mouvements rapides
(Rapid Eye Movement,
ou REM) sous les paupières closes. L’explication scientifique
précise des REM, tout comme l’effet produit par différentes SBA
est toujours en débat, et les recherches scientifiques de
laboratoire se poursuivent régulièrement. Ces stimulations
sensorielles superficielles entraînent, semble-t-il, une stimulation
plus profonde de diverses zones du cerveau et une potentialisation de
son activité – dont le détail nous est encore mal connu.
On sait aussi que la poursuite oculaire a été considérée
par plusieurs chercheurs comme un marqueur génétique de la
schizophrénie, puisqu’elle se trouve durablement perturbée chez
52 à 86 % des schizophrènes (et 32 à 50 % des apparentés), contre
6 à 8 % des personnes normales (Campion, Thibaut et al.,
1992 ; Peretti, 2003 ; Ross, 2004), voire même chez 96 %
(sic !) des schizophrènes (Laplante et al.,
Québec,1992). J’ai donc été particulièrement intéressé par
les travaux actuels de Zoï Kapoula (2010) sur les liens entre les
troubles de la poursuite oculaire et la schizophrénie, l’autisme,
ainsi que la dyslexie, et par la diminution des saccades de
rattrapage au profit d’une plus grande fluidité des
mouvements des yeux. Je rappelle, au passage, que pour Perls, le
fondateur de la Gestalt, la fluidité est la caractéristique
principale de la bonne santé mentale.
Pourrait-on faire l’hypothèse d’une action directe de régulation
du fonctionnement neuronal cortico-frontal par les MO ? La
difficulté de suivre le déplacement d’un objet dans l’espace
serait-elle liée à une carence de concentration de l’attention
entre le monde intérieur du patient et les événements de
l’environnement, donc d’une rupture de contact avec la
réalité extérieure ?
EMDR : hypothèses et métaphores
On peut supposer que ces stimulations induisent des associations
synaptiques entre les deux hémisphères et entre le
cortex et les structures profondes du cerveau limbique
émotionnel – où sont engrammées et traitées les émotions
vécues (amygdale et zones orbito-frontales d’interprétation et de
décision), et qu’elles favorisent une intégration plus fluide
entre la représentation imaginaire du traumatisme et la
réalité de la présence du psychothérapeute « ici et
maintenant ».
Entre chaque séquence de « balayage », d’une durée ne
dépassant pas une minute, le client est invité à exprimer
spontanément « ce qui lui vient » à la conscience :
images, sons, paroles, mouvements, sensations physiques, etc.
J’effectue, pour ma part, à certains moments, des balayages en
« huit horizontal », avec l’hypothèse qu’ils
favorisent des liaisons « verticales » entre diverses
couches du cerveau cortical et limbique, et pas seulement
des liaisons horizontales entre les deux hémisphères. De plus,
le mouvement est alors « fluide » et non saccadé.
Ce « balayage cérébral » accélère, de manière
souvent spectaculaire, des associations d’idées et de
sentiments, parfois inattendues, associations entre certains
événements dramatiques et d’autres, en apparence anodins,
éventuellement espacés dans la vie du sujet. Par exemple, un
sentiment massif d’impuissance lors d’une agression
physique, sexuelle ou d’une menace de mort, et des sentiments
d’impuissance ou de honte – plus discrets et moins conscients,
mais parfois répétitifs – subis dans la vie quotidienne face
à ses parents, à des enseignants, à son partenaire, à ses enfants
adolescents, à ses collègues de travail, etc. On
assiste ainsi, en quelque sorte, à une « défragmentation3
du disque dur » de notre mémoire émotionnelle, rassemblant et
reclassant les séquences enregistrées, dans un ordre nouveau. C’est
un peu comme si on rangeait complètement notre bibliothèque de
souvenirs (conscients et inconscients) – ce qui procure un
sentiment certain d’apaisement : tout ce dont je peux avoir
besoin est maintenant à ma portée, sans effort. J’ai rangé
mes dossiers personnels archivés, rassemblé les éléments
comparables, séparé les informations parasites, mis de côté les
documents inutiles ou périmés, et mis en apparence sur le dessus du
dossier, les informations essentielles. Je n’ai pas vraiment jeté
des souvenirs importants, mais les ai reclassés d’une
manière fonctionnelle. J’ai mis de l’ordre dans mon stock
d’informations, modifiant ainsi ma perception cognitive de ma
place dans le monde.
On peut encore assimiler métaphoriquement ces mouvements latéraux
rapides des yeux, d’une part, au « gommage » de la
composante émotionnelle de passages traumatisants, devenus
obsolètes, inutiles, voire encombrants et, d’autre part, au
« surlignage » des passages importants de mon roman
intérieur, avec des feutres de diverses couleurs. Le texte devient
ainsi plus clair, plus accessible et mieux exploitable. Le fait – à
première vue paradoxal – que le même mouvement produise
des effets opposés (supprimer ou souligner), n’a rien
d’exceptionnel : l’accélération du cœur peut engendrer la
panique ou, au contraire, mobiliser les ressources biologiques ;
une même sanction peut provoquer la révolte ou bien une saine
adaptation ; l’amour peut induire une dépendance excessive ou
bien favoriser la maturation et l’autonomie…
L’EMDR : une approche intégrative
L’EMDR – dont je ne détaillerai pas ici davantage les techniques
et procédures – s’apparente par plusieurs aspects à diverses
approches plus traditionnelles de psychothérapie.
Une enquête nationale, menée en octobre 2009, auprès de 379
praticiens EMDR, membres de l’Association EMDR France, a montré
que, parmi les 101 répondants :
• 50 % des praticiens EMDR ont une formation initiale de
psychanalystes (freudiens, jungiens ou lacaniens) ;
• 36 % ont suivi une formation centrée sur le corps ; 10 %
une formation en Gestalt-thérapie et 7 % en psychodrame
– soit un total de 53 % de thérapies psychocorporelles.
• 35 % ont été formés en hypnothérapie,
(essentiellement ericksonienne) ;
• 26 % viennent de la thérapie familiale ou systémique ;
• 25 % pratiquaient les TCC ;
• 25 % ont suivi une formation centrée sur la personne
(C. Rogers) ;
• 18 % la PNL ;
• 15 % l’Analyse transactionnelle ;
• 11 % la sexothérapie ; (on
dépasse largement les 100 % car plusieurs choix étaient possibles
pour chaque praticien).
Nous allons essayer de souligner rapidement quelques points commun
entre l’EMDR et ces diverses méthodes :
1 • Comme la psychanalyse, l’EMDR favorise les
associations libres et réveille de nombreux souvenirs,
enfouis dans le préconscient ou l’inconscient. Le patient est
invité à évoquer ces associations « dans le désordre »,
telles qu’elles émergent à son esprit. En revanche, elles ne font
l’objet d’aucune interprétation, en référence à aucune
théorie préétablie. On constate avec surprise que le
processus associatif est considérablement « boosté ».
L’importance des traumatismes sexuels – infantiles ou plus
récents – est évidente.
Les mécanismes transférentiels sont à l’œuvre dans
l’alliance thérapeutique.
2 • Comme dans les psychothérapies à médiation
corporelle, l’émotion est d’emblée présente, de
même que l’attention à la respiration, le « scanner »
du corps, les sensations d’oppression, d’étouffement, ainsi que
diverses somatisations. Le thérapeute lui-même mobilise son
corps et ne se contente pas d’échanges verbaux, ponctués de
silences. La proximité physique des deux partenaires (selon le
« setting » conseillé) permet un échange inconscient de
phéromones, via l’OVN (organe voméro-nasal, directement
relié aux zones limbiques inconscientes), favorisant l’instauration
d’une empathie.
Comme la Gestalt-thérapie, l’EMDR encourage l’expression
des émotions et le revécu du trauma (y compris dans ses
connotations corporelles), mais cela dans le cadre sécurisant
d’une alliance thérapeutique chaleureuse, induite par
l’empathie du thérapeute. Elle tend souvent à clore les
« Gestalts inachevées » de la vie passée du
client. Elle exploite les « polarités » de ses choix –
délibérés ou inconscients – polarités opposées, ou plutôt
complémentaires, telles que besoin concomitant de sécurité
et d’indépendance, de tendresse et d’asssertivité, image
négative de soi (« cognition négative ») et image
idéalisée que le sujet désire atteindre (« cognition
positive »). Elle combine l’intérêt aux phénomènes
internes (représentations imaginaires intra-psychiques) et
aux relations avec le monde externe (communication
inter-psychique), à travers la « frontière-contact »
entre l’organisme et son environnement, dans « l’ici et
maintenant ». Elle procède régulièrement à des estimations
du ressenti corporel (« bodyscan »).
Comme en Psychodrame, certaines séquences peuvent être
remises en scène au cours de la séance, accompagnées
d’éventuelles catharsis émotionnelles, et pas toujours
simplement évoquées verbalement.
3
•
Comme l’hypnothérapie,
l’EMDR
entraîne un état
de conscience modifiée,
et exploite la « dissociation » mentale entre divers
niveaux de perception de la réalité. Ces deux méthodes
permettent au patient d'entrer en contact avec son monde
intérieur
encore inconnu. Tout comme en hypnose ericksonienne, on considère
que chaque individu possède en lui-même les ressources
nécessaires à son évolution, à sa transformation, que la
« cicatrisation » spontanée des blessures psychiques est
un phénomène naturel.
4 • Comme en thérapie familiale systémique, on
s’intéresse à la situation d’ensemble, au système de
communication et d’information, aux relations inter-psychiques
et pas seulement aux phénomènes intra-psychiques individuels.
5 • Comme les TCC, l’EMDR implique des
procédures précises et une évaluation périodique chiffrée
du vécu intérieur subjectif : estimation personnelle de
l’intensité du désarroi (SUD, ou Subjective
Units of Disturbance) et validité des convictions
positives du sujet (VOC, ou Validity of
Cognition). Elle propose une alternance entre une
« exposition » ou immersion mentale dans la
problématique, et une désensibilisation progressive (Joseph
Wolpe, 1915-1997).
6 • Comme dans l’approche centrée sur le client
de Carl Rogers, le psychothérapeute s’abstient de toute
interprétation et de toute directive sur le contenu, laissant
l’entière initiative à son client, dans une « acceptation
inconditionnelle » de tout « ce qui vient dans
la tête » du client, et cela dans un climat d’empathie
explicite.
7 • Comme en PNL thérapeutique (PNLt),
l’attention du thérapeute se porte sur le traitement de
l’information ; lorsque le souvenir est une image, on essaye
de la modifier par « zooming » avant ou arrière,
et de modifier sa clarté ; on focalise sur les sensations
corporelles ; sur les ressources et croyances positives ;
on surveille le mouvement des yeux ; on a recours à des
« recadrages » et « ancrages »…
8 • Comme en analyse transactionnelle, l’EMDR
travaille avec les divers « états du moi » (Parent,
Adulte, Enfant), permettant de transformer les « scénarios
de vie » enregistrés dès l’enfance par des
« redécisions ».
9 • Comme en Sexothérapie, les thèmes d’abus
sexuels, récents ou anciens, réels ou craints, agis ou
simplement verbalisés (humiliations et injures) émergent
régulièrement.
Ainsi, le protocole EMDR et ses techniques spécifiques de
retraitement de l’information s’insèrent fort bien
dans diverses autres approches – auxquelles elles ajoutent une
dimension neurophysiologique – non encore entièrement
élucidée.
Rappelons que l’EMDR n’est enseignée qu’à des professionnels
déjà psychothérapeutes par ailleurs, et il n’est donc pas
surprenant que la plupart des praticiens combinent leur
méthode de référence habituelle avec les techniques originales de
l’EMDR – qui les potentialisent d’une manière parfois
spectaculaire.
Quelques vignettes cliniques 1.
Stéphanie a 30 ans ; elle « ne vit plus »
depuis qu’elle a été victime d’un braquage au guichet de la
banque où elle travaillait. Menacée d’un revolver sur la tempe,
elle se voyait déjà morte, avec le brusque sentiment que le monde
continuerait à tourner à l’identique : en fait, elle réalise
d’un seul coup « qu’elle était inutile, qu’elle ne
servait à rien » ! Depuis ce traumatisme, il y a déjà
cinq ans, elle ne sort plus : ne supporte plus la rue, la
foule, les magasins, le restaurant ; elle est atteinte
d’agoraphobie majeure. Elle se méfie de tout et de tous.
Aucune distraction. Elle a perdu tous ses amis. Elle est devenue
boulimique et a pris… 30 kg. En fait, elle « survit »
comme « une morte en sursis ». Outre son agoraphobie
aliénante et sa boulimie quotidienne, elle souffre de cauchemars
à répétition, et tout cela, malgré une psychanalyse deux
fois par semaine et plusieurs antidépresseurs et anxiolytiques…
Je
réalise deux séances d’EMDR d’une heure et demie
chacune, espacées d’une semaine, centrées l’une sur l’agression
elle-même et ses diverses séquences dramatiques, l’autre sur la
confrontation vécue à la Cour d’Assises avec son jeune agresseur
– qu’elle hésite, tour à tour, à « condamner à mort »…
ou bien à pardonner ! Devant sa famille et tous les auditeurs
du procès, les experts psychiatres ont étalé publiquement tous ses
troubles : elle était décrite comme « folle »,
morte de honte et ne supportait plus le regard de quiconque…
Au début de la 1re séance d’EMDR, le mal-être est
massif : elle transpire à grosses gouttes et étouffe. Sur une
échelle subjective de désarroi (SUD) – de 0 à 10 – elle côte
son malaise à… 18 ! À la 3e
séance, Stéphanie arrive désemparée : « Ça va mal !
Je me sens perdue ! Je ne me reconnais plus ! Plus personne
ne me reconnaît d’ailleurs : mes parents se demandent ce qui
m’arrive ; mon ami ne sait plus quoi faire : je ne suis
plus du tout la même !… ».
En l’entendant, je suis moi-même un peu inquiet, mais n’en
laisse rien paraître. Et voici la surprise : son nouveau
désarroi vient de sa guérison « brutale » et totalement
inattendue ! Elle fait ses emplettes tout naturellement dans les
magasins, invite au restaurant son ami qui s’était éloigné
d’elle, chante à voix haute dans l’appartement de ses parents,
comme elle avait coutume de le faire avant l’attentat… Elle est
brusquement redevenue totalement normale et n’a pas eu le temps
de s’habituer à cette métamorphose inattendue et
inespérée ! Voilà donc le nouveau malaise : le
« traumatisme » d’une guérison « miraculeuse »
en deux séances, qu’elle baptise « un conte de fées ».
Je l’ai revue deux fois pour la rassurer et consolider les nouveaux
acquis.
Plusieurs mois plus tard, elle m’apprenait qu’elle s’était
portée au secours d’une voisine agressée, bâillonnée et
dévalisée, dans son immeuble… Elle a pris en charge, avec
beaucoup de sang froid, l’organisation des secours, matériels et
psychologiques !
Je demeure souvent surpris non seulement des améliorations
immédiates, mais surtout de leur persistance dans la durée. Mais
après tout, lorsqu’on a découvert un nouveau chemin, pourquoi
l’abandonner ? Lorsqu’on a dégagé un obstacle sur sa
route, pourquoi reviendrait-il de lui-même ? Le processus
naturel de « cicatrisation » d’une plaie mentale, une
fois entamé, n’a pas de raison de s’inverser spontanément.
Cependant, des incidents peuvent intervenir :
2. Madeleine, 70 ans, vient me voir après une chute sur la
tête, suivie d’une paralysie partielle. Les premiers examens
neurologiques n’ont rien dévoilé, mais depuis plusieurs mois,
elle peut à peine marcher, en titubant, avec un déambulatoire
et toujours accompagnée d’une jeune aide-soignante qui la soutient
par le coude. À la fin de la 2e séance d’EMDR, elle se
lève, toute souriante, oublie son déambulatoire, et se rend
d’un pas allègre à la salle d’attente, récupérer son
aide-soignante.
Celle-ci, une jeune Martiniquaise, tombe à genoux, les mains jointes
et s’écrie « Seigneur, un miracle : elle
marche ! ».
Puis, elle se précipite sur moi et m’embrasse la main, avec
dévotion…
La semaine suivante, Madeleine annule son rendez-vous :
« Tout
va bien, je suis guérie, je n’ai plus besoin de rien ». Deux
semaines plus tard, coup de théâtre : elle avait repris toutes
ses activités, seule, sans canne, avec un excès évident de
confiance… mais, brutalement, elle a fait un faux pas, a perdu
l’équilibre et est tombée à nouveau sur la tête, de la même
manière qu’il y a quelques mois ! Les symptômes ont repris
immédiatement : impossibilité de marcher, accompagnée d’une
perte totale de confiance en elle-même. Une série de séances
d’EMDR n’ont pas permis, cette fois-ci, de réduire les
symptômes. De nouveaux scanners laissent planer un doute sur une
atteinte neurologique.
Décidément, les guérisons miracles ne sont pas toujours de bon
aloi !
3. Je voudrais partager un autre cas – en cours de
traitement – celui d’une cliente que j’appellerai Charlotte.
Ce cas repose sur une hypothèse de traumatisme prénatal.
Charlotte n’était pas désirée par son père – qui a tenté de
faire avorter sa mère à plusieurs reprises pendant la grossesse. Il
était particulièrement violent et l’a frappée à
plusieurs reprises sur le ventre, à coups de poings et de pieds,
tout en proférant des injures. On sait que le fœtus, au cours de la
seconde moitié de la grossesse, perçoit à la fois les contacts
physiques et les sons, à travers la paroi abdominale. Il semble bien
que l’amygdale fonctionne déjà pendant la vie
intra-utérine et peut enregistrer des traumatismes émotionnels –
même si leur traduction en souvenirs verbalisables n’est pas
encore possible, du fait de l’immaturité de l’hippocampe. Ainsi,
je fais l’hypothèse que les traces traumatiques de coups et de
hurlements ont été enregistrées dans les couches archaïques du
psychisme et peuvent expliquer, en partie, les symptômes actuels de
phobies, peur incoercible de l’obscurité et de bruits inattendus.
Je pense que des recherches méritent d’être poursuivies sur le
traitement de traumatismes durant la vie fœtale et périnatale
(cf. les recherches de S. Grof sur les « matrices
périnatales »).
4. Je terminerai cette évocation rapide de quelques cas, par
Sabine — que je suis maintenant régulièrement depuis plus
de deux ans. Lorsque Sabine a appris soudainement qu’elle avait
une forme grave de cancer, son traumatisme fut massif. Elle remit en
cause tout son mode d’existence : ses nombreuses activités,
ses relations amicales, familiales, conjugales. Je l’accompagnais
avec des séances de Gestalt, centrées sur la reconquête de son
assertivité, de son indépendance, et l’élaboration d’un
nouveau projet de vie. Mais nous avons ajouté des séances de
visualisation positive de lutte contre son cancer et
d’acceptation d’une lourde chimiothérapie. Le tout,
émaillé de sessions d’EMDR pour renforcer ses ressources et pour
tenter de conserver notamment, malgré une longue série de séances
de chimiothérapie, ses magnifiques cheveux longs jusqu’à la
taille, auxquels elle tenait beaucoup. Elle avait déjà acheté une
collection coûteuse de perruques, mais, à la surprise de ses
médecins traitants, ses longs cheveux brillants sont restés
intacts, et, par ailleurs, son cancer est entré en phase de
rémission depuis plusieurs mois. Elle multiplie à nouveau les
activités sportives, artistiques et sociales, et fourmille de
projets.
Je cite ce dernier exemple pour illustrer un traitement long et
combiné, inspiré à la fois de la Gestalt et de l’EMDR.
Conclusion
Dans ce rapide exposé, j’ai voulu montrer d’une part, la
« révolution thérapeutique » apportée par l’EMDR et
d’autre part, sa complémentarité avec la plupart des
approches traditionnelles – et notamment la Gestalt-thérapie.
Selon le cas, je reçois des clients traumatisés (récemment
ou plus anciennement) pour quelques séances d’EMDR (de 3 à 7
séances, la plupart du temps) et je leur propose éventuellement
de poursuivre la psychothérapie selon la méthode Gestalt qui m’est
chère, afin d’harmoniser l’ensemble de leur personnalité,
d’épanouir leur potentiel personnel, en profitant de l’élan
initial.
Ou bien, à l’inverse, je reçois des clients désireux
d’entreprendre une thérapie complète et approfondie, en
Gestalt-thérapie, et j’insère occasionnellement, par la suite,
quelques séances d’EMDR, dans le décours de la thérapie,
notamment lorsque sont évoqués des traumatismes de l’enfance ou
des traumatismes actuels.
Il va de soi, que selon la demande du client, il m’arrive de me
limiter à une seule de ces approches, mais je n’ai jamais constaté
d’incompatibilité entre elles, bien au contraire.
Et voici, pour terminer, une brève statistique sur mes 100
derniers clients :
• 42 % n’ont effectué qu’une seule ou deux séances
de 90 minutes
(mais 28 % d’entre eux signalent cependant de nets progrès) ;
• 47 % (soit environ la moitié) ont effectué de 3 à 6 séances
(de 90 min.) parmi
eux, 32 % (soit un tiers) ont vu leurs troubles disparaître 32 %
(soit un autre tiers) notent une amélioration significative 20 %
une amélioration sensible soit
un total de… 84 % de résultats ± positifs !
• 10 % ont effectué plus de 7 séances (généralement,
de 7 à 10) - (avec 90 % de succès).
Je vous remercie de votre attention.
Serge Ginger
Brève
bibliographie Cet article a été
publié - en partie - en anglais dans la
revue :
International
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(IJP), Volume 12, N° 2 (Juillet 2008) Ginger
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en 6 langues : français, allemand,
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Marabout, Paris, 10e
édition : 2009. 290 p.
(publié en 14 langues :
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polonais, ukrainien, roumain, letton, macédonien
grec, chinois et japonais). Ginger
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(édition
originale : 1997). Shapiro
F. (2001). Manuel de l’EMDR,
InterEditions, Paris, 2007, 566
p.
Serge Ginger
Psychologue clinicien,
psychothérapeute
Praticien accrédité EMDR et
Membre du Conseil d’Administration d’EMDR-France
Enseignant de Neurosciences
appliquées à la Psychothérapie à la
Sigmund Freud University (SFU)
Fondateur de l’École
Parisienne de Gestalt
(EPG), de la Société
Française de Gestalt
(SFG)
et de la Fédération
internationale des Organismes de Formation à la Gestalt
(FORGE)
Secrétaire général de la
Fédération Française
de Psychothérapie et Psychanalyse
(FF2P)
Président de la Commission
européenne d’accréditation des instituts de formation à la
Psychothérapie Contact
avec l’auteur :
Mél : s.ginger@noos.fr Tél : +331 53 68
64 58 Fax : +331 53 68 64 57 Site :
sergeginger.net/ Mob.: +336 09 76 26 51 1 S. Ginger, psychologue clinicien,
psychothérapeute didacticien, formé à la psychanalyse, au psychodrame,
à la Gestalt-thérapie et àl’EMDR. Fondateur de l’EPG (École Parisienne de Gestalt) ; président-fondateur de la FORGE (Fédération internationale des
Organismes de Formation à la Gestalt) ; membre du Conseil
d’Administration d’EMDR-France
; secrétaire général
de la FF2P (Fédération
Française de Psychothérapie et Psychanalyse) ; membre du Conseil exécutif de
l'EAP (European
Association for Psychotherapy) ; « registrar » responsable du CEP (Certificat Européen de
Psychothérapie) et
président du TAC (Training
Accreditation Committee), chargé d’agréer les instituts de formation à la
psychothérapie dans les 41 pays membres de l’EAP. 2 Publiée par la suite dans la Gestalt Review, Vol. 6, Numb. 32 (2002). 3 On sait que les données enregistrées
sur le disque dur informatique le sont dans un ordre chronologique, ce qui répartit chaque version
successive d’un même document en plusieurs séquences séparées. La
« défragmentation » consiste à rassembler les fragments
dispersés, à remettre de l’ordre dans les « souvenirs »
imprimés.
L’EMDR,
une approche intégrative